Entretien réalisé par notre correspondante à Tlemcen Amira Bensabeur La Tribune : Peut-on avoir une idée sur la situation hydrique en Algérie ? Dr Remini Boualem : L'Algérie compte 65 grands barrages d'une capacité de 7 milliards de m3. Ce volume sera, selon les recherches, à environ 10 milliards de m3 en 2015. Mais cela n'empêche pas de dire qu'il est fort possible qu'en 2025, le volume atteindra au niveau des barrages environ 20 milliards de m3, mais là, il faut voir avec la projection de construction des nouveaux barrages par l'ANBT d'ici à 2025. De ce fait, il est indispensable de réévaluer la capacité de notre réseau hydrographique. Les sites favorables à la réalisation des barrages sont pratiquement indisponibles. Là, il faut une exploration et une recherche de nouveaux sites en utilisant les images satellitaires et la prospection sur le terrain. Mis à part les barrages, y a-t-il d'autres moyens pour «stocker» l'eau ? Je pense que vous voulez parler des techniques pour récupérer les eaux de ruissellement et de surface. Dans ce cas, on peut parler de la recharge artificielle des nappes. D'une façon très simple, le site d'une recharge est l'inverse de celui d'une retenue ou d'un barrage. Il faut chercher un lieu de forte perméabilité pour accélérer les infiltrations et minimiser l'évaporation. A mon avis, l'Algérie est très en retard dans ce domaine. Malgré son prix moins onéreux. Il suffit de creuser deux à trois bassins à côté du cours d'eau : un bassin de décantation et un bassin d'infiltration. Il s'agit d'étudier la perméabilité du site pour déterminer le débit d'infiltration et d'étudier également le transport solide du cours d'eau pour évaluer le débit des sédiments qui sera décanté dans le premier bassin. Selon mes connaissances, il existe deux expériences en Algérie. Dans la wilaya de Tipasa, les lâchers d'eau par la vanne de fond du barrage de Boukourdane permettent de réalimenter la nappe. Par conséquent, les puits qui se trouvent à l'aval du barrage se sont remplis d'eau. Le site de la recharge artificielle qui se trouve dans la région de Bouinan est le premier d'Algérie. La nappe a été réalimentée par les eaux de l'oued El Harrach. Le niveau de la nappe a augmenté pour un rayon de 20 km. Pouvez-vous donner plus d'explications concernant les recharges artificielles ? Toutes les nappes se rechargent naturellement mais avec des vitesses variables, puisque le sol est hétérogène. Dans ce cas, il faut chercher le lieu le plus perméable, donc une vitesse d'infiltration importante. On peut trouver des sites dans le lit du cours d'eau ou à côté du cours d'eau. Il suffit de réaliser une digue dans le cours d'eau pour accélérer l'infiltration de l'eau s'agissant du premier cas. Pour le deuxième cas, il suffit de creuser un bassin et de faire une déviation d'une partie du cours d'eau vers ce bassin pour réalimenter la nappe.Il y a une expérience qui a été menée par l'Institut de recherche pour le développement (IRD France) durant les années 80 en Tunisie qui a donné de très bons résultats. Ils ont réalisé des retenues collinaires qui permettent à l'eau de s'infiltrer rapidement. Les puits qui se trouvaient en aval ont été remplis d'eau de bonne qualité. Mais il est important de souligner sur ce point que ce système a été utilisé en Algérie depuis plus de cinq siècles dans la vallée du M'zab. Le long de l'oued M'zab, il y avait 17 digues appelées «ahbass». Le dernier barrage se trouve à El Atteuf. Ces ouvrages ralentissent l'écoulement des crues pour recharger la nappe. Des milliers de puits (hassi) alimentaient les oasis de la vallée. Malheureusement, aujourd'hui, il ne reste que deux ahbass qui se trouvent dans un état très dégradé. Il s'agit de ahbass Ajdid et ahbass El Atteuf. Quel impact ont les changements climatiques sur les barrages ? Aucun chercheur ne peut nier cet état de fait, puisqu'il y aura un problème du régime pluviométrique qui va se répercuter sur le taux de remplissage des barrages. Les changements climatiques ont un effet direct sur l'évaporation des lacs et des barrages. Si, aujourd'hui, la hauteur perdue des réservoirs de barrages est de l'ordre de 1m dans le nord et de 2 m dans le Sud algérien, ces valeurs seront revues à la hausse dans les années à venir. Sur le volet envasement, l'on enregistre actuellement 45 millions de m3/an. Ce chiffre sera revu à la hausse dans les années à venir pour le même nombre de barrages. La quantité de terre érodée augmentera suite aux crues dévastatrices qui ruisselleront sur des sols secs et disséqués. Cela dit, l'envasement est un phénomène tout à fait naturel. Tous les barrages de la planète s'envasent, mais avec des vitesses variables d'une région à l'autre. Il se trouve que l'Afrique du Nord est considérée comme une région très sensible à l'envasement. Par exemple, sur les 65 barrages que compte l'Algérie, 15 sont très envasés. Le taux d'envasement de certains barrages est très faible, comme ceux de Boukourdane et Keddara. Les barrages de SMB et Bakhada, qui étaient classés parmi les moins envasés, sont aujourd'hui des plus envasés de l'Algérie. Leurs taux d'envasement ont pratiquement doublé en 20 ans d'exploitation à cause de la dégradation de leurs bassins versants. Vous avez écrit des ouvrages sur les foggaras, parlez-nous de cette technique d'irrigation. Aujourd'hui, les foggaras opérationnelles sont au nombre de 800, dont le débit reste inférieur à 3 m3/s. La bonne nouvelle est qu'il y a aujourd'hui des projets de rénovation de certaines foggaras que ce soit à Adrar, Timimoun ou à Bechar.Cependant, des doutes entourent l'origine de cette technique. Certains auteurs disent qu'elle est iranienne pour d'autres elle est locale. Pour moi le problème n'est pas là.Si, aujourd'hui, elles sont concurrencées par les techniques modernes de captage, les foggaras opérationnelles dans le monde sont estimées à 30 000, dont 22 000 sont en exploitation en Iran. La foggara existe dans plus de 30 pays, dont 16 arabes, c'est donc un patrimoine culturel mondial qu'il faut sauver. Si le principe de fonctionnement est le même dans tous ces pays qui se base sur des galeries souterraines, la source de captage est différente d'une région à l'autre. L'originalité en Algérie est qu'il existe sept types de foggaras dans le Sahara algérien. La distribution et le partage de l'eau de la foggara algérienne sont uniques dans le monde. Qu'en est-il du système de partage des eaux du M'zab ? Je peux vous dire que c'est un système original et unique dans le monde. Il montre comment les Mozabites durant des siècles ont pu vivre grâce uniquement à une crue d'oued par année. Le système consiste à récupérer toute l'eau qui tombe dans les montagnes rocheuses du M'zab sans en perdre une goûte. Toute la crue est dirigée vers les jardins et l'eau est partagée équitablement entre la population. Lors d'une mission effectuée dans la vallée du M'zab, j'ai constaté que ce patrimoine mondial était en dégradation et risquait même de disparaître dans quelques années. Plusieurs ouvrages de ce système ont disparu. Il n'y a pratiquement aucune trace des seguias et des canaux de la palmeraie depuis la crue de 2008. Le système de partage de Bouchendjen, mondialement connu, est complètement détérioré depuis cette crue. Les ahbass Ajdid et Atteuf aussi. Dans deux ou trois ans, ce système de Ghardaïa disparaîtra comme ceux de Metlili et Beni Izguen. En conclusion ? En matière d'eau, il y a une nette amélioration ces dernières années du point de vue quantitatif et qualitatif. Il y a moins de pénurie d'eau et moins de maladies à transmission hydrique, c'est très encourageant. Il est temps d'augmenter notre stock d'eau douce par des nouvelles techniques. Si aujourd'hui l'Algérie possède 65 grands barrages, 5 grandes stations de dessalement et des transferts gigantesques d'eau, on est en retard dans le domaine de la recharge artificielle des nappes, la réutilisation des eaux épurées dans l'agriculture. Il faut signaler que l'Algérie a fait un grand pas dans la réalisation des stations d'épuration. Cependant, il est également indispensable de noter la nécessité de protéger la foggara, au passé prospère, et qui continue aujourd'hui de faire l'admiration des spécialistes. Cette technique ancestrale n'a pas encore suscité tout l'intérêt nécessaire à sa préservation et à sa sauvegarde. Il est temps de faire revivre ces techniques traditionnelles puisqu'elles constituent un patrimoine historique et culturel mondial, ne serait-ce que par le maintien et la réhabilitation des foggaras existantes, que ce soit à Adrar, Timimoun ou dans la vallée du M'zab.