L'établissement Arts et Culture de la wilaya d'Alger a organisé, mardi dernier au Théâtre de verdure, un master class autour de la musique chaâbi. Placée sous le thème «Quacida oua maqçoud», que l'on pourrait traduire par «le poème et son sens (véritable)», la rencontre a donné lieu à un spectacle de musique chaâbi suivi d'interventions, d'explications de textes et d'éclaircissements sur l'histoire littéraire du genre de la poésie populaire chantée ou «chiir el malhoun». Les élèves du Conservatoire de musique d'Alger ont interprété quelques célèbres «quacidat» du répertoire telles que Ya khaïr el anam ou encore Ya m'hal el djoudi sous la direction d'enseignants encadreurs comme Bouafia Mustapha et Mokdad Nacer. L'interprétation, bien que de facture moyenne et de courte durée, a néanmoins suscité un certain enthousiasme dans le public, ceci étant sûrement dû à la riche orchestration et à la présence de professionnels parmi les musiciens. Plus captivée et plus intéressée, l'assistance a écouté religieusement les paroles des deux «érudits» que sont le poète Aïssaoui Dahmane et le chercheur et écrivain Tobbal Halim. En effet, M. Aïssaoui a su allier subtilement la récitation de certaines des œuvres, les commentaires historiques sur le malhoun et l'évocation de grands noms de la poésie populaire à l'exemple de Sidi Lakhdar Ben Lakhlouf. Ainsi, nous apprenons que le genre musical du chaâbi, dans son acception actuelle, est apparu en Algérie en 1947 et, auparavant, les textes qui le constituent étaient chantés d'une manière plus dépouillée et minimaliste, les instruments à cordes n'ayant fait leur apparition qu'au XIXe siècle. Les circonstances de la composition de fameux poèmes ont aussi été soulignées. El Firak, dont la magistrale interprétation de Hadj M'hamed El Anka est encore vive dans la mémoire de chacun, a été composée en 1856 par cheikh Ben Smaïl à l'occasion du départ de soldats algériens pour la guerre de Crimée. Dahmane Aïssaoui voulant rappeler par là qu'une «véritable» «quacida» (et donc un «véritable» poète) est toujours le reflet d'une époque, le fruit d'une sensibilité propre, clin d'œil à peine voilé mais pudique à certains faussaires de la poésie. Halim Tobbal, de l'Université de Médéa, s'est, quant à lui, longuement étalé sur l'histoire et la classification littéraire du genre. Il a rappelé les origines lointaines de la poésie populaire qui remonterait, selon lui, jusqu'à la troisième année de l'hégire, à l'époque où le chamelier voulant accélérer le rythme de la caravane dont il était en charge composait des poèmes pour que sa chamelle presse le pas, poussée par les harmoniques des vers. L'un des points les plus essentiels de son intervention fut l'historicisation de l'entrée de la langue populaire dans la poésie arabe classique. M. Tobbal la situe à la chute de Grenade en 1492. Entrée faite graduellement d'abord dans la conclusion des «mouchahates» andalouses, puis de manière majoritaire au Maghreb jusqu'à sa forme de «chiir el malhoun» que nous connaissons. S'attaquant ensuite aux classifications du «chiir el malhoun» à proprement parler, différentiations selon des critères savants de champs lexicaux de douleur chez Sidi Lakhdar Ben Lakhlouf ou de joie chez Cheikh Enedjar ou encore d'intertextualité chez d'autres, il fut contraint d'écourter son exposé avec une note d'humour et de politesse, s'excusant malicieusement d'avoir abusé du temps des présents. Souhaitons, à l'instar de Dahmane Aïssaoui, que ce genre de rencontres se renouvelle et que ce savoir, édifice de notre patrimoine, ne cesse d'être transmis. F. B.