Le Liban s'achemine-t-il vers un gouvernement «du fait accompli» que le Premier ministre désigné, Najib Mikati, envisagerait d'imposer devant l'incapacité des différentes mouvances politiques à s'entendre entre elles ? Tout indique que cette option est la plus plausible dans l'état actuel des choses, même si certaines parties libanaises estiment qu'il est toujours possible de trouver un compromis entre le bloc du 14 mars, dominé par le Courant nouveau de Saad Hariri, et le camp du 8 mars, dirigé par le Hezbollah. Mais les deux camps ne veulent pas céder sur certains points concernant la composante du futur gouvernement, et chacun cherche à arracher un maximum de portefeuilles ministériels pour contrôler les départements sensibles, comme ceux de la sécurité et des finances.La presse libanaise a révélé dernièrement que le nom de Merouane Charbel, un ancien général aujourd'hui à la retraite, avait été avancé pour le poste de ministre de l'Intérieur, à l'origine du retard à former le nouveau gouvernement de Mikati. Mais des désaccords sont vite apparus entre le Courant patriotique et ses alliés, d'une part, et le Premier ministre, d'autre part. Celui-ci avait refusé que les départements de la communication et de l'énergie soient contrôlés par un même bloc politique. Ces deux postes avaient été réclamés par le camp de l'ancien général Michel Aoun qui voulait vainement placer son gendre Gebran Bassil dans le nouveau cabinet pour occuper l'Intérieur. Citant des sources informées, le quotidien libanais proche du camp du 14 mars, L'Orient le Jour, a rapporté vendredi dernier que M. Mikati «ne serait toujours pas d'accord pour attribuer un portefeuille à Fayçal Karamé, fils de Omar Karamé, comme le demande le Hezbollah, à titre de compensation pour les sunnites minoritaires».Des sources ont indiqué au quotidien libanais local Al Hayat que l'ancien général et chef du bloc du changement parlementaire, Michel Aoun, aurait demandé neuf portefeuilles ministériels dont celui de la Défense nationale, ce que le Premier ministre désigné par le président Michel Sleimane avait catégoriquement refusé.Des hommes politiques libanais affirment cependant que la raison du blocage ne réside pas dans le poste du ministre de l'Intérieur. Le député Farid Khazen, également chef du Courant patriotique libre (CPL), a déclaré que le «ministère de l'Intérieur est un prétexte pour camoufler les obstacles». Dans un entretien accordé à la radio La Voix du Liban, le chef du CPL a affirmé que «le gouvernement nécessite l'entente des parties politiques qui y participent», ajoutant que «le bloc Changement et Réforme est un bloc politique et a contribué à former la nouvelle majorité». Ce bloc regroupe 27 députés et, selon M. Khazen, il a le droit d'être représenté correctement dans le futur cabinet du Premier ministre désigné. «Il y a une seule règle adéquate que tout le monde doit respecter ou bien le désordre règnera», a-t-il conclu.Pour le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, l'écueil réside dans «le désir du Hezbollah et de la Syrie de former au Liban un gouvernement de confrontation, alors que le Président de la République Michel Sleimane et le Premier ministre désigné Najib Mikati veulent un gouvernement proche de la réalité libanaise», a rapporté la radio Liban Libre. Dans une interview à Radio Orient, Ammar Houri, député et membre de l'Alliance du 14 mars (dominé par le Courant du Futur de Saad Hariri), «la formation du gouvernement est un besoin économique, social et politique urgent pour le Liban». M. Houri a ouvertement accusé le général Aoun et ses alliés du Hezbollah d'entraver la formation de ce gouvernement.Devant cette impasse, le président Michel Sleimane a jeté un véritable pavé dans la mare en suggérant que le poste de ministre de l'Intérieur soit attribué à une personnalité neutre sans aucune couleur politique ni religieuse. Certains analystes et même hommes politiques défendent la nécessité d'aller vers la formation d'un gouvernement totalement formé de technocrates pour dépasser cette crise qui risque d'entraîner le pays vers l'abîme. Les politiques ont en effet échoué à répondre aux aspirations des Libanais et devraient donc, ajoutent ces analystes, laisser la place à un gouvernement de transition formé de cadres capables d'aller de l'avant, loin des intérêts étroits des personnes et des groupes en guerre pour le pouvoir. De nombreuses voix avaient appelé, des mois avant la crise du 12 janvier dernier qui a vu la chute du cabinet de l'ancien Premier ministre Saad Hariri, à l'abolition du système politique libanais, construit sur une base confessionnelle. Mais les minorités religieuses ont vite fait de réagir, ayant eu peur d'être exclues d'office du jeu politique.Peut-on envisager une autre issue qui sortirait le Liban de cette mauvaise passe ? Najib Mikati se montre toujours confiant et veut vraiment assumer sa mission jusqu'à la fin. Sur le terrain, la réalité est tout à fait autre. L. M.