Le projet de réforme de la Constitution marocaine de 1996, présenté par le roi Mohamed VI vendredi soir, n'aborde certes pas la question des frontières du royaume, notamment les territoires du Sahara Occidental, annexés en 1975. Mais, de manière subreptice, indirecte mais claire, le texte soumis à référendum, le 1er juillet prochain, propose à la légitimation populaire le fait accompli territorial que constitue l'annexion du Sahara Occidental. C'est une étape supérieure dans la consécration du fait accompli territorial, qui doit s'accomplir par le biais de la régionalisation avancée et le truchement de la promotion constitutionnelle de l'arabe dialectal parlé par les populations sahraouies. Dans son discours de présentation du projet de réforme, le roi Mohamed VI affirme, de façon claire, qu'il votera lui-même «oui» pour ce texte du fait d'être «convaincu que, de par son essence démocratique, il donnera une forte impulsion à la recherche d'une solution définitive pour la juste cause de la marocanité de notre Sahara». Cette «solution définitive» est basée sur «l'initiative d'autonomie» sous souveraineté marocaine, opposée par le Maroc à la solution découlant d'un référendum d'autodétermination du peuple sahraoui, sous l'égide des Nations Unies. Le roi reconnait lui-même, implicitement certes mais sans équivoque, que l'adoption du projet de révision constitutionnelle dans les termes énoncés, «confortera, de surcroît, la position d'avant-garde qu'occupe le Maroc dans son environnement régional». Il faut admirer ici l'art de la litote diplomatique qui permet de dire beaucoup sur le leadership régional sans jamais l'évoquer une seule fois. Dans l'esprit du roi, la «régionalisation avancée» et la «décentralisation élargie», au service d'un «Maroc uni des régions», constituent une assise administrative et juridique solide pour l'autonomie du Sahara Occidental dans le cadre de la pleine souveraineté du Maroc. D'où, «la consécration constitutionnelle du Maroc uni des régions». Dans une relation de cause à effet, l'article 42 du projet de révision de la Constitution présente le roi comme «le garant de l'indépendance du royaume et de son intégrité territoriale dans ses frontières authentiques». Justement, les «frontières authentiques». Dans le lexique du souverainisme marocain, l'adjectif «authentique» est un synonyme de géographie politique qui veut dire «historique» car il renvoie à la possession des territoires sahraouis annexés. La consécration du fait accompli annexionniste serait également réalisée grâce à la promotion constitutionnelle de «toutes les expressions linguistiques et culturelles marocaines, en premier lieu, le Hassani comme culture authentique de nos chères provinces sahariennes». Entreprise culturelle découlant du caractère «saharo-africain» de «l'identité nationale unie». Boucle bouclée, CQFD ! L'inscription dans le marbre constitutionnel de la promotion du Hassani se fera en même temps que la consécration de Tamazight comme langue nationale et officielle du Royaume, au côté de la langue arabe. La démarche ne manque pas d'intelligence dans la mesure où il s'agit de promouvoir une langue que ne parlent pas seulement les Sahraouis mais plusieurs populations dans une vaste zone incluant le Sud du Maroc, la Mauritanie, le désert du Sud-ouest algérien, le nord du Sénégal et l'extrême Nord du Mali. Territoires qui recoupent parfaitement le «Grand Maroc», le fameux «Maroc historique» si cher à l'Istiqlal, le parti souverainiste marocain, le plus en pointe sur la question de la revendication de la marocanité du Sahara. Pour la précision, le Hassani, appelé localement klam Hassân ou encore klam el-Bidhân, le parler des Blancs, est un dialecte arabe fortement influencé par le Zénaga, langue berbère de Mauritanie, ainsi que par le Wolof et le Soninké, langues d'Afrique de l'Ouest, parlées notamment au Sénégal.