Photo : M. Hacène Par Lyès Menacer Une gare routière interdite d'accès aux bus, des voyageurs désorientés et surpris par une grève générale des transporteurs assurant la desserte Tizi Ouzou-Alger, et… des chauffeurs de taxis clandestins qui se frottent les mains en ce vendredi sous un soleil insolent et une chaleur suffocante dès les premières heures de la matinée. Pour se rendre dans la capitale, des voyageurs n'avaient pas trop le choix : soit retourner chez soi et attendre la fin de la grève ou payer une place dans un taxi ou un fourgon trois fois ou quatre fois plus cher que d'habitude. Certains ont donc préféré renoncer à voyager. C'est le cas de Nacéra, étudiante à Alger, qui voulait éviter les embouteillages de samedi sur le tronçon Boudaouaou-Réghaia. Accompagnée par une de ses amies, Nacéra a donc été contrainte de rebrousser chemin après avoir vainement tenté de négocier une place à 200 dinars avec un chauffeur de taxi clandestin qui exige de «ses clients» au minimum 300 dinars. Se faufilant entre des voyageurs désappointés, des jeunes proposent, à qui seraient intéressés, des places pour Alger. Parfois ils usent d'un ton insistant devant des femmes qui, obligées de faire le déplacement, ne savent plus si elles doivent accepter cette offre ou attendre encore un peu la réouverture de l'ancienne gare routière, dont le portail principal est barricadé par deux véhicules de la police locale. Le soleil chauffe l'atmosphère à blanc et les voyageurs perdent de plus en plus patience. Chargés de sacs, de valises et de cabas aussi lourds que le climat régnant dans la ville de Tizi Ouzou, des voyageurs affluent en masse vers la station de taxis. Les chauffeurs, sourire malicieu au coin, proposent leurs services à 400, puis à 500 dinars la place. D'autres véhicules démarrent avec des clients pressés de rejoindre leur poste de travail ou craignant de rater leurs vols à l'aéroport d'Alger. Rassemblés autour d'un transporteur urbain, des jeunes et une vieille femme supplient le jeune conducteur de les transporter à Béjaïa. Il a fixé le prix de cette course, un aller simple, à 4000 dinars. Après dix minutes de pourparlers, cette petite foule s'est dispersée faute d'un accord sur un tarif qui arrange les deux parties. Entre-temps, les enchères continuent d'augmenter, la température ambiante et la colère des gens aussi. Ces derniers se bousculent à chaque fois qu'un transporteur propose une place à deux cents dinars, chose rare même chez les chauffeurs de taxis assurant la desserte entre Tizi Ouzou et Alger en toute légalité. Le payement se fait à l'avance, histoire d'éviter des problèmes une fois arrivés sur place à destination. Paralysée par cette grève des transporteurs, les voyageurs qui veulent se rendre à Boumèrdes ou à Dellys doivent faire une escale aux Issers et débourser 200 dinars au lieu de 60 dinars en temps normal. Là aussi, les négociations entre voyageurs et ces transporteurs d'un jour sont rudes et se soldent souvent par un échec. La rumeur d'une grève illimitée des transporteurs provoque encore plus de peur chez les voyageurs qui accompagnés de leurs enfants, sont obligés de s'abriter sous une passerelle ou dans le hall de l'ancienne gare, dans l'espoir de voir les choses se débloquer rapidement. De l'autre côté de la ville, au niveau de la nouvelle gare intermodale de Kef Naâdja, où les transporteurs refusent de s'installer, la situation est encore plus tendue. Au milieu de ce no man's land, le siège flambant neuf de la Société nationale des transports ferroviaire (SNTF), entouré d'un vast terrain aménagé en gare routière, la colère des voyageurs qui ont débarqué grandit à mesure que l'attente s'allonge. Ce qui fait office d'une nouvelle gare routière n'est qu'un terrain vague, bitumé et équipé d'abribus qui ne protègent pas contre le soleil de plomb de l'été et encore moins contre la colère de la nature en hiver. Les concepteurs de cette gare ont oublié de planter des arbres qui auraient fourni un peu d'ombre à des voyageurs qui se demandent s'ils sont vraiment à Tizi Ouzou ou dans un coin perdu du désert. En dehors des minibus qui partent à destination de Béjaïa, il est rare de voir arriver des cars, aussi bien ceux assurant la liaison entre Tizi Ouzou et d'autres wilayas que ceux qui relient les petites localités de la wilaya avec la capitale du Djurdjura. Les bus de l'Entreprise de transport urbain de Tizi Ouzou (ETUTO) ont été sollicités tardivement et aucune information n'a été diffusée auprès des voyageurs pour les soulager de leur longue et pénible attente qui dure parfois plus de vingt minutes avant l'arrivée du prochain bus de l'ETUTO, à qui cette anarchie profite et permet de compenser le déficit en clients au niveau du centre-ville de Tizi Ouzou. Arrivé à onze heures de Blida, un quinquagénaire originaire de Tigzirt s'interroge, énervé, sur la démarche de l'administration des transports de la wilaya de Tizi Ouzou concernant la délocalisation de l'ancienne gare vers un autre site où les travaux étaient toujours en cours et où il n'y avait qu'un minuscule bureau d'information de la SNTF pas encore opérationnel à cent pour cent. Dans le hall de cette agence de la SNTF, aucun panneau d'affichage pour orienter les voyageurs. La porte des toilettes réservées aux hommes est fermée. Installé dans une aile de la gare, un agent de Resto-rail (l'entreprise de restauration de la SNTF) a improvisé une petite buvette. Une petite bouteille d'eau minérale est cédée à 25 dinars, ce qui pousse les gens à utiliser les robinets réservés à l'arrosage des espaces verts dont l'entretien semble être le dernier souci de ceux qui ont la charge de gérer cet immense site, à l'origine d'une première grève il y a moins d'une semaine des mêmes chauffeurs de bus, prêts à aller jusqu'au bout de leur action de protestation. Alors que le soleil commence à atteindre le zénith, des voyageurs affluent encore dans cette nouvelle gare intermodale, se demandant encore une fois si un jour, ils pourraient se déplacer dans leur propre pays sans subir le diktat des transporteurs et les conséquences de la mauvaise gestion des affaires de la cité par des responsables dont la mission est pourtant d'améliorer le quotidien de leurs concitoyens.