Les remises en cause de la pertinence de la présence occidentale en Afghanistan ont fusé ces derniers temps de la part de membres des états-majors américain et français notamment. Ces prises de distance successives ont fini par convaincre les autorités occidentales sur «l'inextricabilité» de ce conflit et c'est finalement par la déclaration de Barack Obama, annonçant le retrait de 33 000 soldats américains de ce pays, d'ici à la fin 2012, que le glas a sonné pour l'occupation étrangère en terre afghane. Cette décision, qui a été immédiatement suivie par l'annonce de la France du retrait d'environ 1 000 de ses soldats présents sur le territoire afghan, fin 2012 également, sonne aussi comme un aveu d'échec et d'impuissance des forces alliées de l'Otan dans leur l'objectif (officiel) visant à éradiquer le risque taliban en Afghanistan. Par cette décision, c'est en réalité la fin d'un conflit d'usure qui a été annoncée par Barack Obama, même si ce dernier a présenté cette défaite incontestable comme une réussite, arguant que le décès d'Oussama Ben Laden ne justifiait plus la présence américaine en terre afghane – contorsion électorale oblige –; il n'en demeure pas moins que de l'aveu même de l'état-major américain, «le bout du tunnel serait loin en Afghanistan». En effet, accidentellement ou non, les forces de l'Otan ont déjà provoqué la mort de quelque 90 civils au cours des quatre premiers mois de 2010, soit une augmentation de 76% par rapport à la même période en 2009. Les tenants de la stratégie mise en place, celle de la contre-insurrection (ou Counter Insurgency, Coin) sont confrontés à une population afghane méfiante, voire hostile. Par conséquent, ces pertes civiles n'ont fait que ruiner le peu d'espoir qui restait pour les forces alliées dans leur volonté de gagner la sympathie des populations autochtones. Cette guerre, qui a débuté le 7 octobre 2001, est désormais plus longue que ne l'a été la guerre du Vietnam, qui a duré 103 mois. En près de neuf ans, ce sont des milliers de victimes civiles et près de 1 900 soldats étrangers qui ont péri sur le sol afghan, dont une centaine pour le seul mois de juin. Le président afghan, Hamid Karzai, lui-même, bien qu'étant un allié solide de Washington, n'arrivait plus ces derniers temps à imaginer une issue à cette situation et songeait à entamer des négociations avec des représentants talibans sur le principe d'une union nationale. Donald M. Snow, professeur émérite à l'Université d'Alabama et auteur de plus d'une quarantaine d'ouvrages sur la politique étrangère et les relations internationales, a mis, pour sa part, en doute la stratégie mise en place par les forces alliées, qui puise certaines de ses inspirations dans la guerre de Libération nationale algérienne, ou même dans celle du Vietnam : «La contre-insurrection est vouée à l'échec pour trois raisons. La première étant que l'Afghanistan est un pays trop vaste pour ce genre d'opération. De l'aveu même des experts, un militaire devrait idéalement assurer la protection de 1 000 habitants. Or, en Afghanistan, ce schéma aurait nécessité le déploiement d'une force de 660 000 hommes. La deuxième est la question de la conversion de la population aux bienfaits d'une démocratie stable. La mise en place d'un gouvernement assurant cette transition n'est en rien garantie. La troisième, enfin, repose sur le calendrier des opérations. La stratégie de la contre-insurrection nécessite dix à quinze ans d'efforts. On peut déjà douter du fait que les Américains soutiennent la guerre en Afghanistan dans la prochaine décennie.» Avec 30 ans de décalage, les Etats-Unis, sous la présidence d'Obama, semblent donc prendre le «relais» de la Russie en tant que grand perdant d'une guerre menée contre le peuple afghan. L'idéologie talibane étant en quelque sorte consubstantielle à la culture afghane, par conséquent le principe d'autodétermination des peuples – concept quelque peu désuet pour les tenants du principe d'ingérence – prend, quelles que soient les circonstances, toujours le dessus sur la volonté de transposition de modèle étranger. Cela dit, le contexte est néanmoins différent puisqu'il s'agissait officiellement, pour les forces de l'Otan, de soutenir le gouvernement afghan probablement plus légitime que celui imposé par la Russie il y a de cela trois décennies maintenant. La probable surenchère des talibans Sentant le départ proche des forces alliées de l'Otan, les talibans vont certainement surenchérir dans les négociations engagées récemment par les Etats-Unis et qui n'en sont d'ailleurs qu'à un stade embryonnaire; la pression militaire récente imposée par les Américains dans le sud du territoire afghan n'étant certainement pas de nature à forcer ces intégristes obscurantistes à accepter les conditions imposées par la communauté internationale dans ces négociations. Les combattants islamistes se retrouvent donc en position de force et devraient, selon toute vraisemblance, reprendre le pouvoir en Afghanistan dès que les forces militaires étrangères auront quitté leur sol. Au cours de ces dix dernières années, les objectifs de cette occupation ont constamment oscillé entre la volonté de combattre l'obscurantisme taliban, d'éradiquer l'influence d'Al Qaïda dans cette région et de reconstruire politiquement, économiquement et socialement un pays miné par trente ans de conflit. Cette guerre lancée par George W. Bush, qui dure depuis 10 ans et dont le coût est estimé à 450 milliards de dollars, n'a rempli efficacement aucun des trois objectifs fixés. Le retrait total d'Afghanistan est : «La coalition en Afghanistan s'est fixé pour objectif de confier la sécurité du pays aux troupes afghanes d'ici à la fin 2014. A cette date, toutes les troupes de combat étrangères sont censées avoir quitté le pays», a annoncé le président américain lors de son allocution dimanche dernier. Un redéploiement militaire en Libye ? Au-delà des calculs électoraux d'Obama dans la course à la présidentielle de 2012, le retrait massif des forces armées américaines d'Afghanistan pourrait présager d'un redéploiement militaire américain probable en Libye, guerre beaucoup plus «rentable» pour les Etats-Unis. En effet, dans les coulisses de l'état-major américain, on évoquerait de plus en plus la possibilité de l'envoi de troupes militaires sur le sol libyen, avec, bien sûr, un mandat de l'ONU ad hoc. Ce redéploiement pourrait constituer un changement géostratégique majeur pour les Américains, réorientation qui consisterait à faire de l'Afrique subsaharienne son nouveau terrain de lutte antiterroriste. Néanmoins, un débat existe au sein de l'administration Obama. Beaucoup de militaires hauts gradés rejetteraient, en effet, en bloc l'éventualité de l'engagement direct sur le sol africain, privilégiant à la place une coopération antiterroriste internationale avec les gouvernements directement concernés. S. H.