Photo : Riad Par Karima Mokrani La rébellion des futurs spécialistes de la santé publique était spontanée mais bien organisée, du premier au dernier jour de la protestation, suscitant l'adhésion massive des concernés et même la sympathie de nombreux citoyens. Le corps des résidents est désormais connu de toutes les populations et bien sûr des membres du gouvernement qui, chacun dans son coin, appréhende secrètement l'effet de contagion. Malheureusement pour eux, les résidents ont fini par se retrouver à la croisée des chemins, confrontés seuls à la décision du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, de ne jamais satisfaire leur revendication portant sur la levée de l'obligation du service civil. C'était leur principale revendication depuis le début du mouvement protestataire, mais ils ont décidé du gel de la grève sans que celle-ci soit satisfaite. Est-ce la fin du mouvement ? En aucun cas, sommes-nous tentés de dire. Ce ne peut être qu'une pause, l'accalmie qui pourrait annoncer un autre mouvement, plus fort et plus tenace. Car il y a déjà le capital expérience : 112 jours de grève illimitée marquée par de nombreux sit-in, marches… et aussi répression et intimidations. Les résidents auraient tout vu, eux qui s'accommodaient de leurs petites bonnes habitudes dans les bureaux et les services hospitaliers.Il y a aussi leur union, leur bonne organisation. La prise de décision basée sur la concertation et l'implication de tous dans toutes les actions qui engagent le mouvement et donc le résident. Le Collectif autonome des médecins résidents algériens (CAMRA) n'a pas de chef de fil. Ni président ni secrétaire national. Et il n'a pas un seul porte-parole mais plusieurs qui sont des délégués du CAMRA. Autrement dit, c'est la démocratie qui règne en maître, et c'est cela qui a donné plus de force, plus de longévité au mouvement. Au fil des jours et à force d'encaisser les coups, le mouvement s'est fragilisé sans toutefois subir la moindre lésion. Il y a un certain fléchissement, favorisé par la période des grandes chaleurs, les plaintes des malades et des citoyens, de façon générale, la non-solidarité des autres corps et, bien sûr, l'entêtement du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, à maintenir le service civil. Le mouvement se sent menacé de l'extérieur et craint d'être attaqué de l'intérieur, étouffé dans l'œuf, comme cela a été le sort d'autres mouvements avant lui. Il prend alors ses distances, fait une halte… le temps de reprendre ses forces, voir plus clair et décider d'une autre offensive. La rentrée prochaine s'annonce houleuse. Surtout que les résidents risquent de ne pas être seuls sur le terrain de la protestation : des syndicats de l'éducation menacent, eux aussi, de déterrer la hache de guerre et d'attaquer fort. Fait à relever : malgré les quatre mois de grève, les choses semblent entrer dans l'ordre, désormais, et des cours de rattrapage sont certainement au programme. Le spectre de l'année blanche a disparu. Ce qui s'est passé devrait toutefois secouer les pouvoirs publics et les interpeller, encore une fois, sur la nécessité de prendre en charge des problèmes réels dans le secteur de la santé. Un secteur, tout simplement défaillant. Car, si les résidents insistent sur l'abrogation de l'obligation du service civil, ce n'est pas seulement pour une histoire de confort ou d'argent, mais aussi du bien-fondé du principe lui-même. Il ne sert à rien d'instaurer ce service civil dans les régions enclavées du pays, sans mettre en place les moyens nécessaires. De nombreux médecins témoignent de l'inefficacité de ce dispositif pour la simple raison qu'il est mal mis en pratique. «Nous nous retrouvons à exercer un travail d'agent de bureau», rapportent certains. Les engagements des membres du gouvernement à améliorer les choses ne sont pas effectifs. Ils ont beau promettre et jurer de changer la situation, mais… que des paroles. Cela ne pénalise pas seulement le médecin, matériellement parlant mais aussi moralement et psychiquement. C'est une situation qui l'empêche d'évoluer dans son travail. Qui le prive de sa liberté de créer et d'exercer son métier de dispenser les soins à autrui, dans un processus d'évolution permanente et d'enthousiasme.