Photo : Riad Par Fodhil Belloul Nul besoin d'être sorti de la mosquée d'Al Azhar pour se rendre compte que les valeurs de progrès et de rationalité connaissent un net recul dans l'appréhension de la religion musulmane. Les obscurantismes de tous bords dans les pays musulmans, les campagnes de dénigrement à des fins politiciennes ailleurs, et ceci avec l'aide de certains médias, offrent, hélas, une vision peu glorieuse de l'Islam, et finissent pas en dénaturer le message premier, sinon par induire dans l'erreur les esprits enclins à voir dans ces interprétations, pas toujours très saines ou innocentes, la seule voie possible.Fort heureusement, il existe encore des penseurs, et plus généralement des esprits préoccupés de sauvegarder un autre visage de notre religion, celui plus ancestral de tolérance et d'effort intellectuel constants. Nous avons voulu à la Tribune, en marge de la khaïma de solidarité, et pour que cette expérience puisse exprimer une démarche plus globale, entamer une série de conférences autour de différents thèmes dans l'esprit de rappeler, modestement, que progrès et spiritualité ne sont pas des antonymes, et que, bien au contraire, les deux mots sont étroitement sinon intimement liés dans le message coranique.Hier soir, c'était à Kamel Bouchama d'évoquer les aspects majeurs de la question. L'ancien ministre et auteur a, pendant une heure, dressé un large tableau de l'histoire de la pensée musulmane, et des réalisations scientifiques ou philosophiques des plus grands savants de la religion. Il fallait en préambule pour M. Bouchama, et comme pour présenter un argument massue d'où découlerait le reste de sa communication, aller à la source, c'est-à-dire au Coran lui-même. En effet, les versets encourageant l'effort de la pensée, le rôle premier de l'homme de science, ne manquent pas. Au moins trois Sourates évoquent ces questions. S'il est vrai que le mot science (ou Ilm) peut être compris de différentes manières, à savoir sciences sacrées, ou sciences profanes, le conférencier a soutenu que le message coranique englobait les deux. M Bouchama a ensuite mis l'accent sur l'importance que revêt cette interprétation dans la construction d'un «Etat moderne», elle serait, selon-lui, un gage certain d'une énergie génératrice de progrès. En qualité d'ancien médersien ayant reçu les enseignements lui ont permis d'avoir une vision large et érudite de la civilisation islamique, et de son passé fastueux, Kamel Bouchama a néanmoins tenu à préciser qu'une glorification du passé, sans transmission sereine des valeurs qui ont pu caractériser cette époque de grandeur, pouvait s'avérer stérile, voire néfaste. Evoquer les plus grands noms de la pensée islamique ne fut, en tout cas hier soir, pas vain. Brassant les époques les plus marquantes de la civilisation musulmane, du IX siècle abbasside et du «centre du monde» d'alors Baghdad, passant par l'Andalousie d'Ibn Rochd, aux royaumes perses du temps d'Al Farâbî, M. Bouchama a voulu démontrer que le savoir, avec ses deux vecteurs les plus essentiels, le livre et l'enseignement, étaient au centre de l'effort commun. Par exemple, Dar el hikma sous le Califat d'Al Ma'amoun, véritable point nodal de l'ébullition intellectuelle d'alors, comptait près de 9 millions d'ouvrages, alors que les capitales européennes, celle française pour ne pas la citer, après quelques siècles de moyen âge, «d'âge sombre» pour reprendre M. Bouchama, n'ont pu réunir que 2 millions d'ouvrages dans leurs plus grandes bibliothèques. Ou encore, l'importance primordiale accordée par les philosophes aux mathématiques, les avancées prodigieuses de la médecine dans Le Caire des Fatimides. Le conférencier a, en outre, souligné, non sans céder à son amour de la langue arabe, la place prépondérante des sciences linguistiques et plus généralement d'une préoccupation constante de l'éloquence et du rythme poétique dans l'histoire de la pensée musulmane. La communication de M. Bouchama avait sans doute d'abord pour objectif de rappeler à nos mémoires, l'inestimable héritage intellectuel que les muslumans ont en partage, tout en projetant la conscience de cette richesse vers les nouvelles générations, avec pour espoir, et le conférencier ne s'en cache sans doute pas, de participer même modestement, à la création d'en élan de civilisation décomplexé et débarrassé de ce qui peut seul le menacer : l'étroitesse d'esprit. A bon entendeur.