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Le salut de l'islam viendra-t-il de l'occident ?
Islam et Occident, une opposition séculaire (1re partie)
Publié dans El Watan le 20 - 01 - 2007

Il faut initier d'urgence une réforme intellectuelle et morale revalorisant la raison critique et la pensée rationnelle dont le patrimoine culturel islamique offre les prémisses depuis les mouatazila … » Redha Malek dans Le Matin du 28 novembre 2002
Le monde musulman doit nécessairement initier une réforme, non pas de l'Islam lui-même mais de la pensée qui l'accompagne et qui le dénature. La sphère géographique de la religion mahométane vit depuis plusieurs siècles une période de décadence générale qu'aucun penseur honnête, y compris les très nombreux guides spirituels des populations musulmanes, ne saurait nier. Cette décadence, qui a sa source et ses causes dans l'histoire, ne s'est pas arrêtée, ni même ralentie, en ce début de XXe siècle, au contraire de la civilisation occidentale qui, elle, a pris son envol et domine le monde par sa puissance, sa science, sa technologie et sa culture. L'Occident, pour arriver à sa situation actuelle de domination universelle, a dû pendant des siècles lutter contre l'immobilisme et l'obscurantisme des Eglises chrétiennes, se réapproprier l'esprit rationnel et séparer science et religion qui ne pouvaient plus cohabiter. L'esprit des Lumières ne s'est pas installé aussi facilement qu'on pourrait, à première vue, le croire : il a dû surmonter toutes sortes d'obstacles et livrer toutes sortes de batailles (y compris des guerres) pour finir par s'installer définitivement dans une sphère géographique déterminée. Depuis, il a conquis le monde et plus personne, sauf aujourd'hui les fondamentalistes et intégristes musulmans, ne remet en cause sa puissance dans tous les domaines : militaire, bien sûr, mais aussi, scientifique, économique, social et même culturel. Les musulmans sont aujourd'hui les seuls qui cherchent à s'opposer à la domination occidentale, mais en prenant des chemins de traverse qui ne mènent nulle part, sinon au chaos. L'opposition du monde islamique, sous la direction de ses guides fondamentalistes, à l'Occident a pris, depuis une trentaine d'années, la forme du rejet catégorique de l'autre. L'autre, c'est l'impie, celui qui a pour objectif ultime la destruction de l'Islam, seule vraie religion et seule planche de salut pour les hommes et leur âme. L'autre, c'est le nouveau croisé, celui qui a pour mission de continuer l'œuvre des anciens croisés et d'évangéliser le monde, y compris islamique. L'autre, c'est l'allié indéfectible d'Israël, qui a usurpé la terre sacrée de la Palestine et qui a fait d'El Qods sa capitale éternelle. L'autre, c'est enfin le Juif qui a phagocyté l'Occident et qui en est l'élément moteur. Pour l'immense majorité des musulmans, l'Occident est perçu comme « exploiteur, matérialiste et dominateur ». A cette perception d'ordre politique, il convient d'en ajouter une autre plus teintée de morale et de religion : l'Occident est invariablement qualifié d'athée, d'impie, de matérialiste, d'immoral, de cynique, d'arrogant… Dans l'imaginaire musulman, l'Occident (dont le leadership est assuré par les Etats-Unis) figure le Mal suprême (ou le « Grand Satan », selon la terminologie des chiites iraniens) qu'il faut, dans le meilleur des cas, maintenir au loin, sinon combattre à mort jusqu'à la victoire finale, pour la plus grande gloire d'Allah. L'Occident, quant à lui, a depuis des lustres (en fait depuis la naissance et l'expansion de la religion mahométane) intériorisé une crainte maladive de l'Islam et des musulmans. Crainte qui n'a fait que se développer, pour finir par dépasser les limites du rationnel, depuis les tragiques événements qui ont endeuillé certaines de ses grandes capitales : Paris, New York, Washington, Madrid, Londres. L'Occident s'est mis depuis en situation d'état de guerre déclarée contre le terrorisme islamiste, volontairement assimilé à l'Islam qui en serait la source et le vecteur.
L'arabe et le musulman, des parias
L'Occident, dans sa grande majorité, fait l'amalgame, volontairement ou non, entre le fondamentalisme islamique tel qu'il se manifeste à travers ses organisations les plus extrémistes (pas seulement El Qaîda et les autres mouvements terroristes armés) et l'Islam en tant que dernière religion monothéiste révélée, d'essence universelle, pratiquée par plus d'un milliard de personnes à travers les cinq continents. Pour justification théorique (ou idéologique), les tenants occidentaux de la confrontation affirment que l'Islam est par essence violent et a pour seul objectif la domination totale, définitive et par tous les moyens, du monde judéo-chrétien. Ajoutons-y l'incapacité supposée de l'Islam et des musulmans d'intégrer l'universalité, la modernité et la rationalité qui sont l'apanage des seuls Occidentaux. Pour eux, l'Islam n'a aucune vocation à rejoindre le monde de la science et de la raison. Les musulmans, ceux qui ne se sont pas mis en situation de guerre sainte contre l'Occident impie, se lamentent et condamnent cette hostilité généralisée, qu'elle entre ou non dans ce que certains théoriciens appellent le « choc des civilisations ». Cette hostilité, si elle n'a pas encore pris la forme d'une confrontation violente généralisée, est bien réelle et touche pratiquement toutes les nations occidentales, y compris celles qui sont considérées comme les fiefs séculaires de la démocratie : les Etats-Unis, qui ont érigé une législation anti- arabe et anti-islamique liberticide et raciste, le Royaume-Uni, pays de l'habeas corpus, a lui aussi édicté une législation liberticide dirigée contre les musulmans, la France, qui se considère comme le berceau des droits de l'homme, édicte les lois Sarkozy qui sont des lois d'exclusion, etc. L'Arabe et le musulman sont devenus les parias dont on se méfie et que l'on surveille de très près. Des hommes politiques, des hommes de religion, de grands intellectuels y vont chacun de leurs formules ou déclarations chocs qui ne font qu'accentuer la largeur et la profondeur du fossé qui sépare les deux mondes. La dernière en date de ces déclarations est peut-être la plus significative, vu qu'elle émane du pape lui-même : n'a-t-il pas, en effet, déclaré en substance que l'Islam et la violence sont consubstantiels, donc inséparables. Il n'y a pas de meilleure justification à la confrontation (ou au choc) civilisationnelle, vu qu'elle émane du chef suprême des catholiques. Avant lui, d'autres grands responsables politiques avaient fait des déclarations allant dans le même sens : Vladimir Poutine en Russie pour justifier la sale guerre qu'il mène en Tchétchénie, Sylvio Berlusconi, l'ex-président du conseil italien, de manière presque gratuite, sans parler de tous ces hommes politiques des différentes droites européennes qui ne manquent aucune occasion pour montrer du doigt l'Islam et les musulmans et les rendre coupables de toutes les dérives de leurs sociétés (y compris les dérives brutales des banlieues qui sont souvent mises sur le compte d'un Islam trop actif sur le terrain). Les Occidentaux sont-ils pour autant les seuls à devoir être blâmés ? Les musulmans, en tant que sociétés et en tant que personnes, sont loin d'être innocents dans l'état de dégradation des relations qu'ils entretiennent avec l'Occident. Observons l'image qu'ils donnent d'eux à la fin du XXe et au début du XXIe siècles. Elle est pour le moins surréaliste : la religion musulmane donne d'elle une image dévoyée, faite d'obscurantisme, d'intolérance, de brutalités et d'horreurs. La société musulmane contemporaine est une société qui évolue à contresens de l'histoire et qui plonge, inexorablement, avec un sentiment de fierté perverse, dans la régression. Qu'il s'agisse de l'Iran des ayatollahs, de l'Afghanistan des talibans (et même post -talibans), du Yémen qui pourtant n'est pas officiellement tombé entre les mains d'islamistes fondamentalistes ou intégristes, mais entre celles d'un baasisme dénaturé et perverti, jouant la carte de l'islamisme après avoir joué celle de la modernité, du Pakistan du pourtant pro-occidental Pervez Musharaf, du Soudan du général El Bachir, de la Somalie des tribunaux islamiques, des Etats du nord du Nigeria, des parties de l'Irak tombées entre les mains de tribus alliées au fondamentalisme islamique, etc., les images qui en sortent ne sont pas des images de paix, de tolérance et encore moins de modernité. Même le pays phare de l'Islam, l'Arabie Saoudite, est loin d'être une référence en termes de modernité et de progrès social. Les mêmes images d'intolérance et d'obscurantisme (même si, grâce à la manne pétrolière, la situation matérielle des élites et d'une partie importante des populations de ces régions est plutôt enviable) parviennent de la très riche région du Golfe arabique. Une région qui se permet même le luxe d'utiliser les outils occidentaux de communication les plus sophistiqués (essentiellement les télévisions satellitaires), pour propager la doctrine religieuse musulmane la plus rétrograde qui soit : le wahhabisme, qui a enfanté Ben Laden, El Zawahiri, Zerkaoui et consorts.
Les musulmans trompés
L'ambiguïté des relations entre l'Islam, religion révélée qui proclame haut et fort son pacifisme et sa tolérance envers les autres religions abrahamiques, et la violence n'est ni nouvelle ni hors sujet. Il est connu que l'expansion initiale de la religion mahométane s'est faite par les armes, même si de-ci de-là elle a été reçue à bras ouverts et qu'elle a été adoptée facilement par les populations autochtones. L'Islam ne s'est pas développé par les prêches et les discussions, mais par les conquêtes militaires ; ce qui était tout à fait normal et acceptable en ces temps-là. Par ailleurs, toute l'histoire du monde islamique, à l'image de celle du monde chrétien, et, avant lui, du monde hébraïque, est jalonnée de combats pour la prise ou le maintien du pouvoir et de tueries de toutes sortes. La fin du XXe et le début du XXIe siècles ont montré au monde le visage le plus hideux de ce qui pouvait se faire au nom de la religion musulmane : Algérie, Maroc, Afghanistan, Inde, Indonésie, Philippines, Arabie Saoudite, Irak, Nigeria, Soudan, Somalie, etc., et aussi France, Etats-Unis, Angleterre, Espagne. L'épée, le fusil et la bombe ont remplacé la confrontation d'idées et l'explication pacifique. Le plus grave est que ceci est appelé « djihad » et est accepté comme tel par une grande partie des populations musulmanes trompées dans leur conviction, par une éducation religieuse édulcorée et, de l'autre côté, par un comportement occidental irresponsable.
Se mettre au diapason du progrès
En effet, le parti pris flagrant et permanent de l'Occident et de son leader américain vis-à-vis d'Israël n'a pas peu joué dans la montée de l'anti-occidentalisme primaire et violent des masses musulmanes. Les fondamentalistes et les intégristes de tous bords et de tous horizons (salafistes, wahhabistes, djazaristes, khomeinistes, Frères musulmans, etc., auxquels il convient d'ajouter les baâthistes qui ont aujourd'hui fait de l'Islam un fonds de commerce) prêchent en milieu déjà conquis : rien de plus facile que de mobiliser les peuples musulmans contre l'impie, le pro-israélien (devenu ici pro-juif) et d'en montrer l'image la plus répulsive. Il y a dans le comportement des musulmans beaucoup d'irrationalité qui est en grande partie le fruit d'un système scolaire aux antipodes de la science et de la raison. Par ailleurs, l'éducation islamique est laissée aux mains d'une nomenklatura religieuse sans culture, dont le seul point fort est la connaissance littérale du Coran et une grande capacité à vociférer et à jeter l'anathème sur tous ceux qui ne s'inscrivent pas dans leur logique d'exclusion : point d'ijtihad, ni d'esprit critique. Tout ce qui est demandé au croyant, c'est de répéter à l'infini les gestes ostentatoires qui feront de lui un « bon » musulman et de suivre, les yeux fermés, les directives de ses maîtres à penser. C'est en grande partie ce qui explique que le monde musulman, dans sa totalité, continue de sombrer dans l'obscurantisme et le fait se battre contre la modernité, qu'il ne voit que d'un seul côté de la lorgnette, celle qui la présente comme attentatoire aux bonnes mœurs. Fi du développement scientifique, de l'évolution des techniques et technologies, du développement des idées et des cultures, du combat pour l'émancipation humaine, du développement durable… Tout ce qui a une relation directe avec le rationnel est devenu l'ennemi mortel du musulman de base. Il a été formaté à l'intérieur d'un système dans lequel l'Islam a le visage et les idées de ses chefs, il prend fait et cause pour eux, même si au bout il n'y a que le sacrifice de la vie (la sienne et celle de tous ceux qu'il compte tuer pour faire aboutir le projet d'Etat islamiste de ses dirigeants). Cet Islam-là a un immense besoin d'évoluer, sinon d'être réformé de fond en comble, pour ne garder de lui que le message originel du Prophète Mohamed et la philosophie universelle qui en découle. Les musulmans devront faire l'effort de se mettre au diapason du progrès et de l'universalité et se remettre ainsi dans la logique de leurs ancêtres qui ont porté la science et le progrès à bout de bras pendant des siècles, avant de les laisser tomber et de sombrer dans l'obscurantisme. Il devront aussi faire l'effort nécessaire pour changer cette image déplorable de l'Islam devenu la religion du retour à l'obscurantisme, de l'intolérance et qui, pour une majorité d'Occidentaux, est synonyme de terrorisme. Les musulmans devront faire tout pour effacer ces images d'actes terroristes d'une sauvagerie jamais atteinte ailleurs, de lapidations de femmes adultères au nom d'une charia rétrograde, de femmes privées d'éducation, de soins et de travail, de jeunes filles mutilées par les excisions, de condamnations à mort pour délits d'opinion, de massacres organisés contre les minorités ethniques et religieuses, de droits de l'homme bafoués, et beaucoup d'autres choses encore toutes aussi négatives les unes que les autres. En un mot, les musulmans devraient avoir le courage et l'honnêteté de reconnaître que l'Islam est en crise, contrairement à l'idée fortement répandue qu'il est l'unique religion en situation de croissance . (A suivre)
L'auteur est politologue


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