Les journalistes, et ici même, dans ces colonnes, ont beaucoup dit et médit sur le projet de loi sur l'Information, notamment au sujet des délits de presse et des dispositions pénales y afférentes. On avait alors qualifié l'avant-projet de code pénal-bis, tant ses rédacteurs semblaient se faire un malin plaisir à soumettre la responsabilité délictuelle à la double peine. Malgré la suppression des peines de prison initialement prévues, le texte soumis aux députés fait toujours dans la redondance et le double emploi. Le chapitre des délits de presse, soit une dizaine d'articles, se superpose en effet à la section du Code pénal relative aux atteintes à l'honneur, à la considération des personnes et à la violation des secrets. Il se rajoute et aggrave même les dispositions du Code pénal relatives à l'outrage et à la diffamation, particulièrement les fameux articles 144, 144 bis 1 et 144 bis 2. On est donc, toujours, dans le millefeuille pénal. On est même très étonné de lire que les actions publiques et civiles propres aux infractions de presse se prescrivent par six mois révolus à compter du jour de perpétration (art. 113). L'étonnement est d'autant plus grand que les délais de prescription en droit algérien ne sont pas inférieurs à quatre ans. Si l'article en question est maintenu en l'état, cela voudrait dire que les journalistes algériens seraient paradoxalement considérés comme des supers citoyens. Des justiciables pas comme les autres, bénéficiant d'un privilège juridique les mettant au-dessus des règles du droit commun procédural. Tel ne doit pas être le cas. Si leur métier est spécifique, les rédacteurs et autres gazetiers ne sont pas plus égaux que d'autres devant la loi. Ceci dit, mis à part le télescopage du Code pénal et du projet de code de l'Information, le texte entre les mains des députés a l'indéniable mérite de vouloir mettre fin à l'ouverture débridée qui a caractérisé le secteur de l'Information depuis 1990. Bien qu'elle soit audacieuse et de progrès, la Loi 90-07 a rarement servi de base juridique et philosophique pour régir, régler, réglementer ou réguler le secteur, sauf à s'appuyer sur ses dispositions pénales, son côté le moins brillant. Pouvoirs publics et professionnels de la presse ont agi et réagi en marge de cette loi, parfois au mépris même de son esprit et de sa lettre. Il est donc temps de passer du désordre institutionnalisé par des pratiques devenues des us et des coutumes non codifiées, à l'ordre démocratique et à l'organisation rigoureuse respectés par tous. Il est temps de modérer, d'accorder, d'établir et de conformer. C'est-à-dire de privilégier le fonctionnement correct, le déroulement harmonieux des processus et l'assujettissement à des règlements. Le temps est venu de réglementer et de réguler des domaines aussi complexes que la presse écrite et l'audiovisuel, l'Internet, la publicité, la communication et les sondages d'opinion. Il est vrai que les années rouges du terrorisme et la décennie 2000 suivante ont été des années où la presse et le régime ont, peu ou prou, fonctionné dans une zone grise, celle où les uns et les autres étaient à la lisière du droit, quand ils n'en faisaient pas litière. L'absence de règles strictes était la règle. La création des journaux était soumise à l'agrément arbitraire d'une administration inspirée en sous main par des muses providentielles mais anonymes. Des journaux étaient suspendus ou sanctionnés selon la même philosophie. La manne publicitaire, qui obéissait rarement aux lois de l'offre et de la demande, était utilisée comme un instrument de pouvoir et de sujétion politique. A telle enseigne, que des titres privilégiés, au mépris même de la loi, consacraient parfois plus d'un tiers de leur surface globale à la publicité franche et à la publicité déguisée. C'était aussi le temps où certains titres accumulaient des créances douteuses. Ne respectaient pas la vertu budgétaire et pratiquaient impunément une sorte de désobéissance fiscale et sociale, sœur jumelle de l'irrespect de la législation du travail. Ainsi, est-il temps de veiller à la transparence des règles économiques et de prévenir la formation d'oligarchies dans la presse. De veiller aussi, scrupuleusement, au respect des normes en matière de publicité commerciale. De réprimer l'abus de position dominante. De renforcer les droits sociaux des journalistes et le droit de propriété littéraire et artistique. Et, dans une même dynamique, renforcer l'exercice démocratique du journalisme en permettant aux journalistes, par la loi, de constituer des sociétés de rédacteurs participant à la gestion et au capital de leur outil de travail. Leur permettre d'édicter eux-mêmes les règles de respect de l'éthique et de la déontologie. En un mot et pas en mille, paver, à l'aide de balises démocratiques, le chemin d'une presse professionnelle et éthique, consciente que la construction d'une démocratie dépend de son propre épanouissement. C'est un rêve mais on a le droit et l'exigence de le faire. N. K.