Inédite. Une crise sans précédent. Un Titanic financier… les adjectifs ne manqueront certainement pas pour qualifier l'actuelle crise mondiale. Un séisme financier qui a plombé le moral de plusieurs dirigeants des grandes puissances mondiales, mais surtout qui a coûté trop cher aux Etats-Unis d'Amérique. Pas moins de 700 milliards de dollars ont été débloqués par l'administration Bush sans pour autant être sûre de l'efficacité du plan Paulson. Un plan de sauvetage lancé en grande pompe par George W. Bush, mais qui a pris plusieurs jours pour être adopté par les deux chambres du Congrès. Le plan de sauvetage historique du secteur bancaire américain, appelé «loi de stabilisation économique d'urgence 2008», a fait l'objet de tractations entre l'administration du président sortant et le Congrès. En effet, tous les regards et toutes les intentions ont été braqués, la semaine dernière, vers la première puissance mondiale qui a vu le débat, entre Républicains et Démocrates, battre son plein pour la validation du plan du secrétaire au Trésor Henry Paulson. En clair, il a fallu une dizaine de jours depuis l'annonce par les autorités américaines, le 18 septembre dernier, de la préparation d'un plan d'un montant de 700 milliards de dollars pour débarrasser les banques de leurs créances douteuses accumulées dans l'immobilier, pour que le Sénat adopte le plan de sauvetage, toutefois révisé, qui prévoit de porter à 250 000 dollars le plafond de la garantie accordée aux déposants en cas de faillite de leur banque, au lieu de 100 000 dollars dans la version précédente, soit le premier octobre. Trois jours après, la Chambre des représentants a emboîté le pas au Sénat en adoptant, à son tour, le plan de sauvetage bancaire massif de 700 milliards de dollars proposé par le Trésor. «Nous avons montré au monde que les Etats-Unis d'Amérique stabiliseront nos marchés financiers et garderont un rôle majeur dans l'économie mondiale. En se retrouvant tous derrière cette loi, nous avons agi de manière audacieuse pour aider à éviter que la crise à Wall Street devienne une crise à travers notre pays», a déclaré M. Bush lors de la signature du plan dans le bureau ovale à la Maison-Blanche. Le président sortant a également qualifié le plan d'«essentiel pour aider l'économie américaine à survivre à la crise financière», tout en avertissant que «cela prendrait du temps» avant que les effets de la loi se fassent sentir. Les réactions partagées des experts Depuis l'annonce d'un plan de sauvetage, avec à la clé l'enveloppe pharaonique de 700 milliards de dollars, les analyses et les réactions des spécialistes des questions financières sont loin d'être divergentes. Alors que pour le président de la Réserve fédérale (Fed), Ben Bernanke, cette loi «est une étape cruciale vers la stabilisation de nos marchés financiers et pour assurer que le crédit soit canalisé sans entrave vers les ménages et les entreprises», pour le patron du Fonds monétaire international, le Français DSK, le Fonds monétaire international (FMI) a fait savoir que «la situation est très préoccupante» et les pertes des banques «plus importantes que ce que nous avions mesuré». Dominique Strauss-Kahn a également appelé samedi passé le Vieux Continent à une coordination entre les pays européens pour trouver une stratégie commune face à la crise financière internationale, alors que des divergences persistent entre la France et l'Allemagne. Reçu samedi par le président français Nicolas Sarkozy, avant la tenue du mini sommet de Paris destiné à rassurer l'opinion et les marchés, le patron du FMI a insisté sur la nécessité de signaler aux marchés que les pays européens ne vont pas agir chacun pour soi. Il est utile d'indiquer que le plan de sauvetage, cheval de bataille de Bush durant ces derniers jours à la tête des Etats-Unis, a été vivement critiqué par la bête noire de la Banque mondiale, le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz et ce, avant même son adoption par les deux chambres du Parlement. Ainsi, l'ex-numéro deux de la BM n'avait pas tardé à commenter les décisions prises par le président américain George Bush. La même source voit dans la crise actuelle du système financier américain «la fin d'un modèle économique désastreux» et «la fin de l'idéologie selon laquelle les marchés libres et dérégulés fonctionnent toujours». Et de considérer que le plan proposé par le président américain, George Bush, pour soutenir les banques, «n'est qu'une solution à court terme». Pour désengorger le système et ramener la stabilité sur les marchés, le gouvernement veut racheter aux banques et aux institutions financières des actifs «non liquides» dont personne n'en veut et qui sont à l'origine de l'une des plus graves crises à Wall Street depuis la grande dépression de 1929, explique-t-il. Plus loin, M. Stiglitz a en outre estimé «monstrueuse» l'exposition des contribuables américains par le plan de soutien massif au secteur bancaire annoncé par Washington. «On met les placements à risque entre les mains des contribuables. Comme aucun investisseur privé ne veut des placements à risque, on les colle au contribuable», c'est monstrueux, a jugé le prix Nobel américain 2001. Par ailleurs, les médias les plus influents aux Etats-Unis ont été unanimes pour commenter les décisions de W. Bush. «Maintenant s'ouvre la partie difficile», ont titré d'une seule voix samedi le New York Times et le Washington Post. «C'est l'une des plus grandes entreprises de gestion des actifs au monde, avec un impressionnant trésor de guerre de 700 milliards de dollars. L'économie mondiale dépend de sa réussite et le Trésor américain a, à peine, un mois pour le mettre en route», avant la présidentielle du 4 novembre», a écrit le New York Times. Plus pessimiste, le Wall Street Journal considère que si cette nouvelle loi «donne une chance d'arrêter la panique financière des 14 derniers mois», elle [la panique] n'est pas terminée et la perspective d'une récession économique ne va pas aider». Pas plus optimiste, le Washington Post juge qu'«en aucun cas, le vote d'hier n'assure que le problème a été résolu». Par ailleurs, si ce plan, comme son nom l'indique, peut sauver certaines banques, il n'en demeure pas moins qu'il met, encore une fois, à nu les dettes des Etats-Unis. Ces dernières devraient dépasser, selon l'agence de notation Fitch, les 70% du PIB pour la première fois depuis les années 50 ! Soulagement aux Etats-Unis et inquiétude en Europe Face à la crise financière qui a traversé l'Atlantique la semaine dernière, les pays européens ont réagi dans l'urgence et, en même temps, en ordre dispersé. En effet, après la nationalisation, en l'espace d'une semaine, de la banque franco-belge Dexia et du bancassureur belgo-néerlandais Fortis, la reprise partielle de la britannique Bradford & Bingley par l'espagnol Santander, et l'organisation «forcée» d'un plan de sauvetage en Allemagne pour Hypo Real Estate, une mini réunion ayant regroupé les 4 membres du G8 a été organisée hier à Paris. La France, présidente en exercice de l'Union européenne, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et l'Italie ont, au cours d'une entrevue, annoncé samedi dernier, des mesures pour faire face à la crise financière et pris notamment l'engagement solennel de soutenir les établissements financiers européens en difficulté. Le président français Nicolas Sarkozy, la chancelière allemande Angela Merkel et les Premiers ministres britannique Gordon Brown et italien Silvio Berlusconi ont également indiqué qu'ils souhaitaient l'organisation, «le plus tôt possible», d'un sommet international pour revoir les règles du capitalisme financier. Ont pris part à cette rencontre le président de la Banque centrale européenne Jean-Claude Trichet, celui de l'Eurogroupe Jean-Claude Juncker et José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne. Le président Sarkozy a même pris le chemin de la sanction envers les responsables bancaires ayant failli. «En cas de soutien public à une banque en difficulté, chaque Etat membre présent s'engagerait à ce que les dirigeants qui ont failli soient sanctionnés», a-t-il fait savoir. Les participants à ce mini sommet n'ont pas endossé l'idée d'un fonds européen de soutien qui avait été avancée avant la réunion et catégoriquement rejetée par l'Allemagne. Solution : chaque pays doit «prendre ses responsabilités au niveau national» face à la crise des banques mais «sans porter atteinte aux intérêts des autres Etats européens», selon Angela Merkel. En clair, les mesures de sauvetage prises, notamment en Irlande, ne sont pas les bienvenues chez les Allemands. «Les plans de sauvetage décidés dans chaque pays devaient respecter les règles d'une concurrence loyale entre banques européennes», a-t-elle fait savoir. Et d'indiquer qu'elle «n'est pas satisfaite» de l'initiative du gouvernement irlandais d'apporter sa garantie aux dépôts des plus grandes banques de ce pays. «Nous avons déjà demandé à la Commission européenne et à la Banque centrale européenne de chercher à discuter avec l'Irlande. Il est important d'agir de manière équilibrée et de ne pas se causer de dommages entre pays. Il faut des démarches qui respectent la concurrence», a-t-elle martelé. L'attitude de la chancelière allemande a été motivée par sa «confrontation», samedi dernier, au cas de la banque Hypo Real Estate menacée de faillite après l'échec du plan de sauvetage de 35 milliards d'euros -le plus gros de l'histoire allemande. En effet, le consortium de banques impliquées dans cette opération «a refusé de fournir les lignes de liquidités prévues», selon Hypo Real Estate et ce, au moment où se déroulait la réunion de Paris. La source des difficultés actuelles d'Hypo Real Estate semble être sa filiale germano-irlandaise Depfa, achetée en octobre 2007 et spécialisée dans le financement de projets d'infrastructures ou publics. Au niveau continental, Nicolas Sarkozy a estimé que «la Commission européenne devrait faire preuve de flexibilité dans l'application des règles en matière d'aide d'Etat aux entreprises, comme dans les principes du marché unique». En effet, plusieurs banques dans différents pays européens ont dû être renflouées, voire nationalisées, avec de l'argent public, ce qui, en principe, peut constituer une entorse aux règles européennes sur la concurrence. Selon le président Sarkozy, «l'application du pacte de stabilité et de croissance devrait refléter les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons». Mais ce pacte doit être respecté «dans son intégralité», a immédiatement répondu le Premier ministre luxembourgeois et président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker. «Aujourd'hui s'est exprimée avec clarté et détermination la volonté de nos pays de garantir l'épargne des citoyens et de préserver la confiance des citoyens envers le système bancaire qui doit continuer à soutenir l'économie réelle», a souligné pour sa part M. Berlusconi. Le sommet de Paris ou l'unité de façade des Européens face à la crise En parvenant à faire endosser à ses partenaires un catalogue de mesures d'urgence, Nicolas Sarkozy a réussi samedi à rétablir, le temps d'un mini sommet à Paris, l'unité des grands de l'Europe face à la crise financière, même si toutes leurs divergences sont loin d'être effacées. Apparues singulièrement divisés ces derniers jours, la France, l'Allemagne, l'Italie et la Grande-Bretagne se sont engagées samedi, après trois heures de discussion à l'Elysée, à agir de façon coordonnée pour protéger leurs banques en difficulté, pour en sanctionner les dirigeants et tenter de réformer l'architecture financière mondiale. Lors de la conférence de presse qui a conclu ces travaux, le président en exercice de l'Union européenne (UE) affichait donc le sourire des grands soirs. Sans même qu'on lui pose la question, Nicolas Sarkozy s'est longuement réjoui de l'unité affichée par le «G4». «Ce qui est très important, c'est que devant une crise mondiale, l'Europe existe et présente une réponse», a-t-il fait savoir. «Chacun de nos pays a ses règles, sa législation, sa culture, mais chacun a décidé de faire un pas vers l'autre, nous devons présenter un visage cohérent», a-t-il ajouté. L'autre motif de satisfaction du président français est d'avoir obtenu l'imprimatur de ses trois partenaires pour la tenue «le plus tôt possible» du «Bretton Woods» de la finance mondiale qu'il avait proposée à ses pairs le 23 septembre depuis la tribune de l'ONU à New York. «Ce qui est important, c'est que nous nous engagions tous ensemble pour l'organisation d'un sommet afin que, demain, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. On est tous d'accord là-dessus», a-t-il souligné. Mais, signe que l'unité affichée samedi soir pour rassurer l'opinion et les marchés n'était peut-être que de façade, le Premier ministre luxembourgeois et président de l'Eurogroupe Jean-Claude Juncker a immédiatement tenu à poser les limites de cet «assouplissement». «Cela ne veut pas dire que l'on laisserait maintenant filer les déficits», a-t-il tempéré. Si elle a accepté le principe d'une coordination, la chancelière allemande Angela Merkel est pour sa part restée campée sur sa préférence pour des actions «nationales». «Chaque pays doit prendre ses responsabilités au niveau national», a-t-elle rappelé. S. B.