Réformes possibles, réformes du possible ou réformes de l'impossible ? Question récurrente depuis que le président Abdelaziz Bouteflika a annoncé en avril dernier un train de réformes politiques. Plus qu'une promesse, son discours du 15 avril 2011 à ce sujet, vaut serment et engagement de promouvoir un changement audacieux mais progressif et ordonné. Si on se référait au mode d'emploi, au calendrier et à la rétivité au changement dont a fait montre, sur certaines questions, un parti comme le FLN, on se dit que la force inertielle est bel et bien en action. Elle freine des quatre fers pour édulcorer, tempérer, adoucir, gommer, escamoter, bref, mettre en échec tout ce qui est de nature à remettre en cause le statu quo politique ante. Quand on voit comment cette force agissante, présente à tous les niveaux et dans toutes les strates de l'Etat, dans l'Administration et les partis associés au gouvernement, s'empare de textes de réformes, pourtant à l'eau tiède par certains aspects, on lève les bras au ciel. Les bras nous en tombent également lorsqu'on voit comment des députés du FLN et bien d'autres ont mené une guérilla machiste et crétine contre l'idée de réserver un quota de 30 % de sièges aux Algériennes dans les assemblées élues et même dans les partis politiques. On en a aussi par-dessus les épaules quand on voit comment les forces de l'inaction tentent d'infantiliser le chef de l'Etat lui-même, pariant sur une présumée incapacité présidentielle de voir, d'entendre, de sentir ou de comprendre. On en a eu des exemples donquichottesques, à la veille même de l'inauguration de la tellement attendue première ligne du métro d'Alger ou, autre exemple, du lancement du projet de la pharaonique grande mosquée d'Alger. Ces messieurs les ronds de cuir de tout bord et de tout niveau, se sont lancés, de façon compulsive, dans des travaux d'embellissement et d'entretien qui sont ailleurs un acte banal, au quotidien. On a ravalé, nettoyé, récuré, badigeonné, carrelé, consolidé, peint, aspergé, vaporisé et même aseptisé des lieux qui croulaient sous la crasse et exhalaient, par endroit, des miasmes pestilentiels. Cette manière frénétique, tristement grotesque et lourdement grossière, renseigne beaucoup sur un paradoxe de la bureaucratie algérienne. Cette force inertielle, qui a la capacité de retarder ou d'escamoter les projets les plus audacieux, est également pusillanime, voire lâche, puisqu'elle ne s'ébroue à faire ou à bien faire que lorsqu'elle est mise sous pression. Surtout si celle-ci est exercée de haut en bas et du plus haut niveau. Mais à quelque paradoxe, malheur pourrait être bon. Si le monstre inertiel agit ainsi, sous forte impulsion, à la veille d'échéances importantes ou cruciales, c'est que le chef de l'Etat dispose, heureusement, de ressources insoupçonnées en termes de volontarisme politique. Tant mieux, surtout s'il en usait pour dessaisir de l'examen des textes de réformes une APN rétive au changement, voire réactionnaire, qui s'emploie à vider les réformes de leur substance active, alors même qu'elle souffre d'un déficit chronique de légitimité démocratique. C'est clair, on ne peut pas demander à un paralytique de danser une samba chaloupée ou une salsa endiablée ! Pour neutraliser la force inertielle et mettre le pays en mouvement, le chef de l'Etat dispose d'atouts majeurs : sa volonté politique forte, l'état des caisses et la stabilité du pays qui tient encore bon malgré les secousses. Il est vrai que le pays qu'il dirige depuis 1999 est, dans tous les sens de l'adjectif, une terre sismique où les plaques tectoniques (terrorisme, agitation sociale) travaillent en surface et en profondeur mais sans provoquer de déflagrations majeures. De ces explosions de rupture qui font que puisse advenir l'inéluctable et l'irréversible. Le pays est tout de même stable et l'OTAN, même si elle fut, un moment, à ses frontières, n'est pas à ses portes. Le bras armé et séculier du pays semble plus solide que naguère. Et, contrairement aux forces inertielles tapies dans les couches de la bureaucratie et des partis réactionnaires, son avant-garde, pour l'essentiel et dans sa majorité, n'est pas opposée au changement démocratique. C'est un atout supplémentaire entre les mains du président de la République qui a lui-même contribué à ce que cette avant-garde soit aujourd'hui aux avant-postes. A première condition, pour lui comme pour les fers de lance de l'armée, de conjuguer stabilité et mobilité. Un certain Jacques Chirac, qui connait un bout sur la question, a dit un jour de bon sens que «mobilité et stabilité ne sont pas antinomiques : un cycliste n'est stable sur sa bicyclette qu'en avançant.» A seconde condition de se dire que les bateaux enfouis dans le sable ne peuvent pas se vanter d'une certaine stabilité. Car si la stabilité veut dire assise, équilibre, solidité et durabilité, elle signifie aussi, foi de linguistes, fixité, rigidité et immobilisme. N.K.