Photo : Riad Par Noureddine Khelassi Le 15 avril dernier, avec en toile de fond le «Printemps arabe» et les émeutes de l'huile et du sucre en Algérie, le président Abdelaziz Bouteflika annonce des réformes politiques profondes, ordonnées et graduées, par définition, paisibles et à moindre coût politique et social. Il promet alors «un programme de réformes politiques visant à approfondir le processus démocratique», et passant par une révision parlementaire de «l'ensemble de l'arsenal législatif sur lequel reposent les règles de l'exercice démocratique et le libre choix des citoyens». L'acte II de cette réforme est constitué par une révision de la Constitution. La modification constitutionnelle sera confiée à une «commission constitutionnelle, à laquelle participeront les courants politiques agissants et des experts en droit constitutionnel» qui soumettront leurs préconisations au chef de l'Etat, arbitre en première instance, qui les présentera ensuite au Parlement ou les fera approuver par voie référendaire. La suite de la mise en œuvre est connue : une commission de consultation, simple chambre d'enregistrement de propositions, est ainsi créée ; de même, des projets de loi organiques sont présentés à l'examen d'une APN qui s'est révélée pitoyablement vétilleuse, techniquement superficielle et politiquement médiocre, notamment lors de l'étude de la question de l'amélioration par la loi de la représentation des femmes dans les assemblées élues. Les débats, plutôt les chicaneries et les chicayas de députés rivalisant de phallocratie et de misogynie, ont mis au jour les petites ambitions électoralistes de partis politiques, notamment ceux de l'incohérente alliance présidentielle. Un chiffre, un seul, renseigne sur l'état d'esprit, la finesse intellectuelle et la maîtrise politique de certains députés qui pinaillaient le plus souvent sur des queues de cerises : 195 amendements ont été présentés à la Commission des lois qui n'en a retenu que dix ! Finalement, le plafond de 30% de femmes sur les listes électorales, préconisé par le gouvernement, a été abandonné au profit d'une modulation du taux en fonction de la taille démographique des circonscriptions et du nombre de sièges y afférent. En apparence et en apparence seulement, ce principe de proportionnalité semble être de bon aloi politique. Mais la réalité est cependant tout autre, car la modulation du taux entre 20 et 50% ne garantit en rien de retrouver les femmes en nombre correct, voire appréciable, dans les futures assemblées élues. Ni le projet du gouvernement ni le texte amendé par les députés ne fait obligation aux partis et aux listes indépendantes de mettre suffisamment de femmes en position d'éligibilité. Ce taux variable de représentation politique, même s'il était porté à 80%, s'avère être une simple profession de foi, de la poudre aux yeux ! Pour en être convaincu, il suffit de constater que les députés ont supprimé l'obligation d'octroyer de manière discriminatoire un des deux sièges uniques obtenus par une liste X dans une circonscription Y. Dans leur extrême prodigalité, les vénérables députés avaient mis en avant leur souci de préserver «l'honneur et la dignité de la femme algérienne» qui «ne doit pas accepter l'aumône politique».Face à un tel assaut de machisme de phallocrates barbus ou sans barbe, on se demande, après coup, si le chef de l'Etat a eu raison d'inverser le calendrier et l'ordre des priorités des réformes en ne s'adressant pas, d'entrée de jeu, au peuple, comme il l'a fait lors des référendums sur la concorde civile et la réconciliation nationale ? L'interrogation est d'autant plus de mise que les députés se sont employés à édulcorer des textes qui ne brillaient pas pourtant par l'audace réformatrice et la rupture démocratique. Le choix de faire valider les réformes par l'Assemblée, aussi discutable soit-il, n'obère pas, toutefois, de manière irréversible, les chances de faire aboutir les réformes, voire même d'en améliorer le contenu. Ainsi, avant même de consulter les Algériens, le président de la République pourrait user des moyens politiques, puissants, que lui offre notamment la Constitution. Garant de la Constitution, le président de la République «œuvre au renforcement du processus démocratique», et «fait respecter le choix du peuple» (art. 70).Les jeux sont loin d'être faits et la mauvaise volonté politique de certains députés et de certains partis n'est finalement pas un obstacle insurmontable. Pour être validé, un projet doit être adopté par les deux Chambres du Parlement. En cas de désaccord, il sera soumis à une commission parlementaire paritaire, réunie par le Premier ministre et qui proposera un texte sur les dispositions, objet du désaccord. La marge de manœuvre de l'Exécutif est encore large : le texte en question est soumis par le gouvernement à l'adoption de l'APN et du Sénat, sans amendement, sauf accord du gouvernement. En cas de persistance du désaccord, ledit texte est retiré (art. 120). Reste alors pour le chef de l'Etat la possibilité de demander une seconde lecture de la loi votée dans les 30 jours suivant son adoption à la majorité des 2/3 (art. 127). Par-dessus tout, le président de la République dispose de l'arme atomique de la dissolution. Dans pareil cas, les présidents de l'APN et du Conseil de la Nation consultés, il peut décider en effet de la dissolution et convoquer, par conséquent, des élections législatives anticipées dans un délai maximal de trois mois (art. 129). Enfin, le Conseil constitutionnel, dûment saisi, peut juger «inconstitutionnel» une disposition législative ou réglementaire. Dans ce cas de figure, celle-ci perd tout effet à compter du jour de la décision du Conseil. Or, il se trouve que le quota modulable de femmes sur les listes électorales, non assorti de l'obligation de les mettre en position d'être élues, est en soi anticonstitutionnel, car il contredit, dans l'esprit comme dans la lettre, les articles 31 et 31 bis de la Constitution. Qu'on en juge par la simple lecture de l'article 31 bis, introduit lors de la révision constitutionnelle de novembre 2008 : «L'Etat œuvre à la promotion des droits politiques de la femme en augmentant ses chances d'accès à la représentation dans les assemblées élues.» La responsabilité de l'Etat est d'abord celle de son chef, qui a fait de la discrimination positive en politique, et en faveur des femmes, une question personnelle, une question d'honneur, une question de principe démocratique. Un test de la sincérité de ses réformes, aussi.