Après la Tunisie, et officieusement la Libye, les législatives marocaines ont confirmé la poussée de islamistes au Maghreb et probablement en Afrique du Nord à l'issue du long processus électoral en Egypte qui débutera demain. Cependant, il est utile de noter que ce sont les courants islamistes modérés des Frères musulmans non salafistes qui gouvernent déjà en Tunisie, en Turquie et prochainement au Maroc et en Egypte. Les observateurs ont constaté que ces courants adoptent un discours rassurant, rassembleur, pro-démocratique, social, pour la bonne gouvernance, contre la corruption et le népotisme et ouvert sur le monde. Contrairement à la Libye où les islamistes dominants sont plus salafistes, en Tunisie, au Maroc et en Egypte, les courants populaires se réfèrent à un Islam de civilisation, séculaire et modéré. Ils sont historiquement le prolongement moderne des courants islamistes réformateurs (Islah) comme ceux de Jamel Eddine El Afhghani à la fin du XVIIIe siècle, Mohamed Abdou en Egypte au début du XXe siècle, Chakib Arslan en Syrie entre les deux guerres et les Oulémas de Benbadis en Algérie. C'est ce qui explique leur référence à l'Islam, non pas comme modèle de pouvoir, mais comme socle identitaire et ciment social. D'autant plus qu'à la lecture de leurs programmes politiques, on peut y déceler une forme de social-démocratie à l'image des courants chrétiens ouvriers en Amérique latine qualifiés de théologie de la révolution. Ces derniers se sont rangés du côté des pauvres, du prolétariat et des laissés-pour-compte des systèmes dictatoriaux d'Amérique latine, et certains partis chrétiens se référaient même au marxisme-léninisme comme fondement idéologique et comme projet de société. En Algérie, une tendance au sein de la Jaz'ara était issue de mouvements de l'extrême gauche comme El Oumami qui se réclamait du mouvement ouvrier international avec une nuance panarabiste. Beaucoup de militants des courants baâthistes dans différents pays arabes se sont rabattus sur les mouvements islamistes modérés, estimant que le discours et les référents marxistes et baâthistes n'étaient plus porteurs, et que l'heure est à l'islamisme comme vecteur politique et idéologique pour peu qu'on y insuffle des idées démocratiques et de gauche. Les Frères musulmans au pouvoir en Tunisie et au Maroc devront confirmer leurs discours sur la démocratie à travers leurs capacités à garantir les libertés publiques et individuelles et à assurer l'alternance au pouvoir comme ils l'ont toujours réclamé. L'islamisme modéré se frottera ainsi à l'exercice du pouvoir réel et testera ses idées et ses méthodes de gestion dans un contexte difficile pour des pays comme la Tunisie, le Maroc et l'Egypte. Le défi majeur pour les gagnants est le redressement économique, la lutte contre le chômage et la pauvreté, ainsi que la réforme politique et administrative de systèmes dominés par la corruption, le clientélisme et le népotisme. Le second challenge consiste à s'imposer sur le plan international en conciliant leurs intérêts nationaux et leurs principes de justice dans le règlement des questions pendantes, comme les questions palestinienne et sahraouie. A. G.