Du jamais-vu ! Un président des Etats-Unis, champion du capitalisme et du libéralisme économique, qui fustige les banquiers et le système financier mondial. Un discours que pourrait applaudir un socialiste. Le président Sarkozy, autre chantre du libéralisme, qui emboîte le pas au président Bush dans une coordination d'évidence parfaite, et qui tient le même discours : il annonce que les dirigeants des banques qui auront failli seront sanctionnés, il dénonce ce «capitalisme spéculateur» et accuse «le capitalisme financier» de «pervertir l'économie» (discours de Toulon, 23 septembre 2008). L'atmosphère politique est d'abord à la dramatisation à outrance. Le président Bush déclare que c'est la situation la plus grave depuis la crise de 1929, il en appelle à l'union sacrée de la nation, à ne plus être «ni démocrate ni républicain, mais tout simplement américain». Le président Sarkozy tient immédiatement le même discours. Lui et son Premier ministre en appellent à l'unité nationale, à dépasser les clivages droite gauche. Les médias sont mobilisés eux aussi. D'une seule voix, ils mettent l'accent sur la gravité de la situation, ils la dramatisent à outrance, ils «chauffent» l'opinion. Etonnant : tout cela ne risque-t-il pas de semer la panique dans la population et d'aggraver la crise ? Aux Etats-Unis, on laisse même d'abord une des plus grandes et anciennes banques, la Lehman Brothers, une véritable institution, faire faillite sans que l'Etat intervienne. C'est donc vrai, le système financier mondial est au bord de l'abîme. C'est le moment alors pour le président Bush d'annoncer un plan de sauvetage des banques américaines, le plan Paulson, de 700 milliards de dollars. Ouf ! Il était temps. L'opinion, paniquée, est prête à tout accepter. A la Chambre des représentants, les Républicains renâclent contre ce plan «socialiste» d'intervention de l'Etat et de «nationalisation» mais finissent par le voter. Le président Sarkozy propose immédiatement, en tant que président de la France, mais aussi de la Communauté européenne, des mesures semblables. Toujours la même parfaite coordination. Il déclare que les dépôts des épargnants seront garantis par l'Etat et qu'il n'acceptera pas qu'un seul épargnant «perde un seul euro parce qu'un établissement financier se révélerait dans l'incapacité de faire face à ses engagements». (Discours de Toulon). Un engagement dont on se demande s'il n'est pas en fait destiné à donner des garanties aux dirigeants du système financier mondial qu'aux petits épargnants. Bref, c'est l'Etat, donc les contribuables, donc le peuple, qui va payer la facture. C'est Lénine qui disait, il y a près d'un siècle, que «le capitalisme monopoliste d'Etat était le dernier stade du capitalisme». Il précisait qu'il se caractérisait «par la domination du capitalisme financier à la fois sur l'ensemble du capitalisme et sur l'Etat» par l'influence qu'il exerce sur lui. Les présidents Bush et Sarkozy viennent de nous en faire la démonstration pratique, en live. Cette dramatisation de la crise financière permet aussi d'atteindre un autre but : celui de préparer l'opinion occidentale à la crise économique qui va inévitablement s'ensuivre. Ce sera désormais la faute à la crise financière. Oubliés les promesses électorales, les objectifs en matière d'emploi, de lutte contre le chômage. L'austérité, les sacrifices, tout pourra être alors justifié. Le temps perdu dans la prévention de la crise financière, les contradictions dans sa gestion amènent même certains à penser que la récession économique est un objectif recherché délibérément par les Etats-Unis. C'est en tout cas la thèse avancée dernièrement (21 septembre 2008, émission «Riposte», France 5) par Jacques Attali, ancien conseiller du président français Mitterrand et spécialiste des relations internationales. La cible : la Chine ? En effet, les dirigeants américains voudraient stopper la montée rapide en puissance de la Chine (et accessoirement d'autres pays émergents tels que l'Inde, le Brésil). Or, la croissance économique de la Chine est nourrie par ses exportations en premier lieu vers le marché des Etats-Unis ainsi que celui de l'Europe. La récession et, donc, l'arrêt pendant une période, de la croissance économique des Etats-Unis, avec ses conséquences aussi sur l'économie mondiale, auraient pour conséquence directe de freiner grandement ou d'arrêter la croissance économique de la Chine. Les cercles dirigeants américains pensent que le pouvoir du Parti communiste chinois n'y survivrait pas. La compréhension de la crise actuelle ne doit donc pas se faire uniquement à partir de considérations purement économiques mais aussi à partir de considérations politiques et géostratégiques, et notamment la volonté de l'Empire de maintenir sa domination mondiale, quel que soit le coût économique. La crise économique pourrait être aussi gérée à travers l'augmentation ou l'aiguisement des tensions internationales. N'oublions pas que la grande dépression de 1929 a développé les tensions internationales et n'a été réglée définitivement que par la guerre, la Seconde Guerre mondiale. Or, beaucoup de signes sont actuellement inquiétants. Les Etats-Unis ont multiplié ces derniers temps les occasions de friction aux frontières de la Russie en voulant y déployer des armes antimissiles (Pologne, Tchéquie) ou en cherchant à faire intégrer l'Ukraine et la Géorgie à l'OtaN. Cela a semblé d'autant plus inutile et provocateur, y compris à de nombreux pays occidentaux, que, si l'existence de l'OTAN pouvait, pendant la guerre froide, être justifiée par celle du pacte de Varsovie, ce n'est maintenant plus le cas. Des responsables américains, comme la secrétaire d'Etat, Mme Condoleezza Rice, ont multiplié les déclarations étonnamment méprisantes et peu diplomatiques à l'égard de la Russie, la menaçant d'«isolement et d'insignifiance dans le monde», et de remettre en cause «son adhésion à l'OMC et à l'OCDE» (discours de Mme Rice du 18 septembre 2008 à Washington). Dans ce sens, l'administration Bush a développé ces derniers temps une activité intense, ce qui est inhabituel pour une administration partante, à quelques mois de l'élection américaine. Ce qui fait dire d'ailleurs que son objectif est d'avantager ainsi McCain, les Républicains tirant traditionnellement profit du nationalisme américain et d'un climat de tension internationale. Ce sont d'ailleurs les Républicains qui ont été les plus réticents à adopter le plan de sauvetage des banques en difficulté. Dans un tel contexte, l'élection d'Obama à la Présidence pourrait devenir bien difficile, outre le fait qu'on peut douter que l'Amérique profonde soit vraiment prête aujourd'hui à élire un Président qui soit noir ou métis. Crise économique, tensions militaires, cela peut être donc les deux faces d'une même stratégie de l'Empire pour conserver une hégémonie mondiale sans partage. Il ne faut donc pas s'empresser d'analyser la crise actuelle à travers seulement le prisme du déclin de la puissance américaine, même si celle-ci est inexorable et se fera durant ce siècle, ou des signes de l'effondrement actuel du capitalisme mondial. Il faut aussi faire la part de la manipulation dans la présentation médiatique de cette crise et sa dramatisation. Cela dit, il n'en reste pas moins qu'entre les objectifs des maîtres actuels de la planète, qui voudraient exploiter cette crise au profit de leur hégémonie, et ce qui en résultera réellement, il y aura certainement un grand écart et bien des surprises. L'Histoire est le résultat de l'action d'une infinité de forces où tout le monde a participé mais dont la résultante est quelque chose que personne n'a voulu. C'est ainsi que, déjà, l'image du capitalisme, pourtant triomphant sans partage au sortir de la guerre froide, s'est profondément dégradée dans l'opinion mondiale. Les gens constatent, en direct, en live, que l'Etat occidental vole au secours de la finance internationale mais qu'il dira froidement aux petites et moyennes entreprises, ou aux travailleurs, que la faillite et le chômage font partie des lois de l'économie de marché. Des centaines de milliards de dollars et d'euros ont été trouvés en quelques jours pour sauver le bateau ivre des spéculateurs financiers, mais, dernièrement à l'ONU, on ne trouvait pas les 10 milliards de dollars qui auraient suffi pour sauver l'Afrique de la faim… D. L.