La France, gouvernement et Parlement, se prépare à un impair qui risque de provoquer une crise diplomatique avec la Turquie. L'Assemblée nationale française a décidé, hier avec l'assentiment du gouvernement, d'examiner demain une proposition de loi condamnant la négation du génocide arménien. «Il n'est pas question pour nous d'accepter cette proposition de loi (...) qui dénie le droit de rejeter des accusations infondées et injustes contre notre pays et notre nation», a réagi, dans un communiqué, le chef de l'Etat turc, Abdullah Gül, en exhortant Paris à renoncer à une loi «inacceptable». Le texte prévoit un an de prison et 45 000 euros d'amende en cas de négation d'un génocide reconnu par la loi. Paris a admis en 2001 l'existence d'un génocide d'Arméniens entre 1915 et 1917 ayant fait 1,5 million de morts. Si elle reconnaît que jusqu'à 500 000 personnes sont mortes lors de cette période, la Turquie considère qu'elles ont été les victimes des aléas de la Première Guerre mondiale et non d'un génocide. Deux délégations turques, l'une composée d'industriels, l'autre de parlementaires, ont été envoyées à Paris pour tenter d'empêcher un examen du texte de loi. Ces parlementaires ont rencontré hier Jean-David Levitte, conseiller diplomatique du président français, Nicolas Sarkozy, puis le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé. Si elle n'était pas entendue, la Turquie a menacé la France de représailles diplomatiques, économiques et culturelles. En premier lieu, Ankara devrait rappeler pour consultations son ambassadeur et parle de déclarer persona non grata son homologue français en Turquie. La crise franco-turque, si elle se confirme, survient à un très mauvais moment pour la France dans un contexte régional où la Turquie est désormais incontournable dans le règlement des dossiers iranien et syrien, sur lesquels Paris se veut en pointe. En matière économique, «si cette loi est adoptée, il y aura beaucoup de dommages et conséquences pour les deux pays», a estimé lundi dernier le patron de l'Union des Chambres de commerce et des Bourses de Turquie (TOBB), Rifat Hisarciklioglu. La Turquie «est membre de l'Organisation mondiale du commerce et est liée à l'Union européenne par un accord d'union douanière. Ces deux engagements juridiques impliquent un traitement non discriminatoire à l'égard des entreprises de l'UE», a répliqué hier le ministère français des Affaires étrangères. La Turquie compte près de 12 milliards d'euros d'échanges en 2010 avec la France. Le millier d'entreprises françaises opérant en Turquie pourrait se voir priver de marchés publics dans les domaines des transports, de l'armement et du nucléaire. Au-delà des objectifs électoralistes de l'UMP, la France se lance dans un bourbier politco-diplomatique qui révèle l'hypocrisie d'un Establishment qui nie ses propres crimes de guerre dans toutes ses ex-colonies notamment en Algérie qui exige le pardon de la France. Se voulant chantre des droits de l'Homme, la France a refusé une commission d'enquête onusienne sur les massacres commis par le Maroc au Sahara occidental lors de l'intifadha sahraouie à El Ayoun. Mieux encore, le pays, qui s'est fait le «libérateur de la Libye», avait proposé à Ben Ali des moyens répressifs pour mâter la révolte des jeunes. Comme le ridicule ne tue pas, la France officielle continuera à nier ses propres crimes pour ne voir que ceux des autres, même en les déterrant du fin fond de l'histoire. A. G.