A aucun moment de l'histoire de l'Algérie, Abdelhamid Mehri n'a tu ses convictions. Notamment ces vingt dernières années. Mehri a toujours exprimé clairement ses opinions aussi bien dans les médias que dans des forums nationaux et internationaux. La situation du pays le préoccupait et tous les événements importants ayant marqué les scènes nationale, arabe et internationale l'interpellaient et le faisaient réagir. Ce que les nouvelles générations retiennent du parcours de ce militant inlassable, c'est d'avoir choisi en tant que secrétaire général du FLN, l'opposition au pouvoir. En effet, c'est entre 1991 et 1996 que Mehri a fait du FLN un vrai parti dont les sessions du Comité central et du Bureau politique étaient des tribunes de débats contradictoires sur la réalité et le devenir de la nation, dans un contexte de tragédie nationale. Mehri s'est ainsi opposé à l'arrêt du processus électoral de décembre 1991 et a refusé de cautionner les choix politiques et sécuritaires qui en ont découlé. Au-delà de la justesse ou non des options politiques du FLN dans cette phase critique, n'a-t-il pas contribué directement ou indirectement à limiter les dégâts au pays, d'autant plus que la majorité des militants du FIS n'était pas favorable à la violence, ni au déchirement de la nation, ni à l'effondrement de l'Etat national. Le FLN aura donc franchi le Rubicon, aux yeux des tenants du pouvoir, lorsqu'il a pris part, à travers la personne de Mehri, au conclave de Sant'Egidio et signé la plateforme adoptée par les parties présentes, dont les représentants du FIS, du PT et Ben Bella. Se sentant menacé et en déficit de légitimité, le pouvoir a décidé de récupérer le FLN et de le ramener au «bercail» en orchestrant un coup d'Etat «scientifique» exécuté de main de maître par certains membres influents du parti, pour écarter Mehri. La médiocrité et le ronronnement se sont alors réinstallés au sein du FLN avant que les putschistes ne soient évincés à leur tour pour que le putsch devienne une constante du FLN. Mais Abdelhamid Mehri ne peut être réduit à celui qui a éloigné le vieux parti du giron du pouvoir. De 1996 jusqu'à sa mort hier, Mehri se sentait concerné par tous les développements qu'a connus l'Algérie et s'est toujours impliqué dans les débats pour exprimer ses points de vue et saisir les autorités à travers des lettres adressées directement au président de la République. En 2004, alors que l'Algérie vivait un moment charnière caractérisé par la division du sérail autour de deux candidats du FLN à la présidentielle, Mehri a adressé un mémoire au président pour exposer son analyse de la situation prévalant dans le pays et même sur la politique étrangère de l'Algérie. En fin politique et diplomate, Mehri était l'homme du consensus et du compromis. Il a réussi, après 1996, à transcender sa famille politique pour s'imposer, grâce à sa sagesse et son engagement politique, comme une personnalité nationale respectée par tous les courants politiques et même par une jeunesse lassée de la politique et des politiciens. Fort de sa formation littéraire, Mehri était un tribun hors pair et prolixe. Si Mehri a marqué son époque, c'est aussi grâce à sa probité, sa modestie et son honnêteté intellectuelle et morale. Entre le pouvoir et ses convictions, Mehri a choisi d'entrer dans l'Histoire par la grande porte en laissant ses qualités humaines et politiques le placer naturellement sur un piédestal. Le Ghandi algérien est mort après avoir dit son dernier mot publiquement lorsqu'il a appelé le président de la République à engager des réformes profondes devant changer complètement le système. Mehri aurait aimé voir naître une nouvelle République où tous les Algériens se sentent algériens et où le droit et la justice règnent en maîtres absolus. A. G.