Dans les discussions algéro-françaises au sujet d'une usine automobile, c'est la voix du PDG de Renault, Carlos Ghosn, qui compte et qui porte. Pas celle des deux facilitateurs politiques que sont, côtés algériens et français, Mohamed Benmeradi et Jean-Pierre Raffarin. Le premier est dans une logique pure d'entreprise et de développement offensif de sa stratégie de véhicules à bas et à très bas coût, domaine où Carlos Ghosn a acquis la flatteuse réputation de cost-killer. Les seconds sont par contre dans une logique politique stricte qui les incite, parfois, à parler trop rapidement à la place des autres, c'est-à-dire les décideurs de l'entreprise. On sait que le temps de l'économie n'est pas toujours celui de la politique. Alors, quand Carlos Ghosn a des certitudes froides ou des attitudes prudentes, il n'est pas à l'heure de l'enthousiasme des politiques qui ont parfois l'air de dire emballez, c'est pesé ! Beaucoup plus que l'ancien Premier ministre français, le ministre algérien de l'Industrie s'est montré optimiste, excessivement optimiste. Au point d'affirmer que les deux parties travaillent déjà sur des documents contractuels. Donc proches d'un accord. Du Maroc, sur le site même de la nouvelle usine Renault de Tanger, Carlos Ghosn a douché l'enthousiasme naïf du ministre algérien et l'optimisme injustifié du représentant du président Nicolas Sarkozy. Entre l'Algérie et la France, il n'y a en fait que des discussions. Il n'y a pas, à ce stade, de décision ou d'un quelconque aboutissement. Si le moteur des discussions politiques algéro-françaises tourne à plein régime, en revanche, il n'y a rien qui soit de nature à laisser penser que l'affaire est dans le sac. C'est un projet, point barre ! Et c'est le PDG de Renault qui l'affirme. Comment expliquer alors la candeur de hadj Mohamed Benmeradi et sa propension à prendre pour argent automobile comptant ce qui n'a pu être que des assurances politiques ? Peut-être même des certitudes fournies par un Raffarin dont les talents d'ingénieur d'affaires et de VRP sont très connus en France. Qualités bien utiles pour un Sarkozy, candidat à sa propre succession à l'Elysée et qui a tant besoin de conforter son image de premier VRP de l'industrie française à l'étranger. M. Benmeradi, et derrière lui les autorités algériennes, tous niveaux confondus, ont sans- doute cru, avec la touchante foi du charbonnier, que Renault pouvait créer une troisième usine maghrébine en Algérie, après celles de Casablanca (SOMACA) et de Tanger. Surtout, de croire signer un contrat au moment même où la stratégie low-cost de Renault à l'étranger suscite des polémiques politiques en France. Vives controverses à l'heure du débat électoral hexagonal sur le produire français et en France. Charles Pasqua, le grand Charles de Pernod-Ricard et de la Place Bauveau, ne disait-il pas que les promesses n'engagent finalement que ceux qui ont l'attendrissante naïveté d'y croire ? A ce stade, l'excès d'enthousiasme et le péché de naïveté sont moins graves que le double délit d'arrogance et d'outrecuidance dont a fait montre le patron de Renault. La superbe présomption de Carlos Ghosn est exprimée, en filigrane, dans deux petites phrases destinées, a priori, au concurrent allemand Volkswagen. Le rival allemand discute avec le même Benmeradi d'un projet d'installation d'une usine germanique en Algérie et de son ambition d'en faire la porte vers l'Afrique pour les marques du groupe. Du Maroc même, et comme s'il était en territoire algérien conquis et captif, Carlos Ghosn a affirmé, avec un klaxon Renault : «Renault est la première marque en Algérie, il n'est pas question de laisser qui ce soit venir construire en Algérie une usine.» Et en guise de souhait, un second coup de clairon à fort accent de sommation : «Si le gouvernement algérien souhaite une usine en Algérie, nous préférons que ce soit une Renault.» En français non diplomatique, cela voudrait dire voilà la voie express sur laquelle les Algériens doivent rouler, et surtout pas en Volkswagen ! Pas question donc que l'amour dans le couple industriel algéro-français, souffre de la présence déstabilisante d'un amant mécanique ou d'une maîtresse automobile allemands… Renault a certes le droit absolu de se montrer mécontent du fait que les Algériens ne lui aient pas déroulé le tapis rouge. Avec, par exemple, de grands avantages fiscaux. En plus d'un terrain gratuit, qui plus est dans une zone plus attractive que le site de Bellara (Jijel) qui est loin d'occuper la position stratégique entre Atlantique et Méditerranée du port de Tanger. Et surtout pas un tissu développé et compétitif de fournisseurs et une main-d'œuvre formée aux meilleures techniques automobiles. Carlos Ghosn et ses managers peuvent aussi maudire la contrainte souveraine du 49/51%, abominer le système fiscal algérien, exécrer les banques algériennes et détester les mauvais classements de l'Algérie dans le Doing Business, c'est tout à fait leur droit. Mais, sous peine d'insulter un peuple tout entier, après avoir mésestimé – c'est un euphémisme – leurs dirigeants, ils n'ont aucunement le droit de dire aux Algériens avec quoi rouler, comment rouler et sur quelle voie rouler. Les Algériens, dont le pays est un marché en développement exponentiel de la marque au losange, ont, eux, le droit de rouler des mécaniques comme le ferait un acheteur qui paie cash et en devises. M. Mohamed Benmeradi, dont on connaît la bonhomie proverbiale, doit rappeler à Renault que le client est roi, surtout quand il a des pétrodollars. C'est à ce prix que ça roulera mieux entre l'Algérie et Renault. N. K.