L'enfer culturel, c'est toujours l'Autre. L'enfer mémoriel, toujours lui également. Par opposition ou par effet de miroir, le désert culturel, c'est aussi et encore l'Autre. C'est l'Un et l'Autre, l'Autre, frère ennemi par le sang versé ou mêlé. L'ami impossible de langue commune et de longue date. L'Autre, qui, en ce cinquantenaire du souvenir séparé, a, lui, une mémoire culturelle prolifique. Mémoire opulente d'un côté, de l'autre, mémoire avare. Cinquante ans de souvenirs et l'héritage du français comme «butin de guerre» ou comme «exil» culturel. C'est comme si, longtemps après la longue nuit coloniale, Kateb Yacine ou Malek Haddad nous rappellent de nouveau que Molière et Marivaux sont pour nous, berbéro-arabes de bonne foi islamique, un butin linguistique providentiel. Ou un exil sans retour, dont nos deux langues maternelles nous consoleraient peu, peut-être jamais. Tant mieux, dirait-on, le français, c'est un peu de notre histoire et de notre culture, sans que l'on soit pour autant Français par le français hérité, dompté et adopté. Le français et les Français, accidents de l'Histoire. Cinquante ans après, usage un peu plus intensif de l'idiome de Camus, Algérien français ou Français algérien. Amazighs et arabo-musulmans, on est, en 2012, plus nombreux, comme on dit à Bab El Oued, à «parler la France» sans toujours lui parler ou parler la même langue qu'elle. Surtout quand il est question de l'Histoire écrite ou réécrite en France quand l'Autre, en Algérie, commémore l'Histoire sans l'écrire. Pendant ce temps, l'Autre, en France, avec la puissance de la matière grise, la force documentaire et l'arsenal archivistique débat tous azimuts, écrit, réécrit, parle et fait parler. Il dit et fait dire l'Histoire de l'Un et de l'Autre. Mémoires vivantes mais parfois sélectives. Presse écrite, télés, radios et Web intense, les médias sont au rendez-vous. En masse. Colloques et autres rencontres, livres, reliures, films, documents, docu-fictions, documentaires, dossiers, hors-séries, numéros spéciaux, témoignages, révélations, entretiens, plaidoyers, analyses, reportages, BD, photos et archives inédites, les mémoires françaises défilent. Elles déferlent, foisonnent, vives mais encore à vif. Plaies toujours ouvertes et purulentes dans les mémoires et dans les cœurs. Historiens, journalistes, écrivains, photographes, dessinateurs, universitaires, acteurs civils et militaires d'hier, politiques d'aujourd'hui, Pieds-noirs et harkis, fils et filles de rapatriés d'Algérie, toutes les mémoires sont ainsi convoquées. Y compris des mémoires de l'Autre, chez lui ou chez l'Autre interrogées. Mémoires en panne, mémoires parallèles, mémoires en opposition, mémoires inconciliables car, à ce jour, irréconciliables. Et pendant ce temps-là, l'Autre oublie de se souvenir. Silence de la mémoire officielle, absence de la mémoire citoyenne et, dans les deux cas, mise en branle d'une mémoire réactive et offusquée. Sur cette terre d'Algérie, berceau de l'histoire à deux, la mémoire algérienne fait le ramadhan culturel perpétuel. Officiels, politiques, journalistes, historiens, universitaires, acteurs et victimes des drames d'hier, sont absents et abstinents quand l'Autre est présent et incontinent. Algérie, terre d'Histoire où les élites sont amnésiques et le peuple sans mémoire. N. K.