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(une autre histoire)
Les largesses éducatives de la France coloniale
Publié dans El Watan le 23 - 01 - 2006

Article 1er : (...) « La nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. » Article 4 : « Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord (...). » Loi promulguée le 23 février 2005 sous le numéro 2005-158.
Vue sous son encoignure historique, la loi française du 23 février 2005 est un soufflet magistral qui rappelle à l'ordre nos mémoires d'éléphant. Ne vaut-il pas mieux empoigner le mal à la racine ? En faisant preuve de longanimité, pour ceux qui ont perdu la guerre. Prenez une quelconque chronologie de l'histoire ancienne chez votre libraire habituel. Vous y apprendrez que rien de remarquable n'est advenu aux anciens Maghrébins depuis que le monde est monde. De l'homme préhistorique de Mechta Al Arbi (vers 10 000 avant J.-C.) à Massinissa (110 siècles avant J.-C.) c'est le vide intégral. Avec une laconique incursion vers Rome, Carthage et les guerres puniques. La stricte valeur-limite. L'entité maghrébine, revue et corrigée par les préhistoriens français au cours de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, n'a que la place qu'elle mérite.
Henri Lhote Berbrugger Helevy et les autres
L'histoire algérienne est déjà réécrite dans des manuels paléographiques, bien avant que ne fût promulguée cette loi du 23 février 2005. La plume des chercheurs expansionnistes sévit depuis des décennies dans nos éphémérides et nos annales, en filigrane, subrepticement. Ces gens-là sont toujours les maîtres de l'histoire antique et de l'archéologie algériennes. Les hypothèses improductives de Henri Lhote sur le Tassili ou les présomptions surannées de Berbrugger, Halevy, Rodary, Reboud, Letourneux dans le domaine libyque, ont toujours pignon sur rue dans nos esprits affligeants. L'histoire antique de l'Algérie a été biffée par des mains rompues à la falsification. Le domaine libyque ou celui des Phéniciens de Constantine a été relégué au placard depuis les années 1950. Très peu s'y intéressent, en alléguant que l'on ne peut pas reconstituer le parler des anciens Berbères. Préférant l'agitation ethnique aux débats sereins sur nos origines spécifiques. Les fragments érudits des anciens auteurs grecs et latins, qui sont favorables à nos contrées maghrébines, sont minorés. Polybe, Pline l'Ancien, Tite-Live, d'autres encore. On traite toujours de mercenaire le pharaon d'origine berbère Sheshonq 10 le fondateur de la XXIIe dynastie égyptienne, qui réunifia la haute et la basse Egypte dès 950 avant J.-C. Personne n'a jamais traité de mercenaire à la solde des Etats-Unis d'Amérique, John F. Kennedy qui était pourtant d'origine irlandaise. Abou AI Abbas Ahmed Belkadi, roi d'Alger de 1520 à 1527, le fondateur de la dynastie de Koukou, en Grande Kabylie, qui lutta contre Kheïr Eddine Barberousse jusqu'à la veille de sa mort survenue dans la plaine de Boumerdès, est de même stipendié dans les ouvrages de spécialistes français qui déprécient depuis toujours les annales de l'Algérie. Pour imposer à la postérité de notre pays, leur modèle de civilisation béotienne vouée corps et âme à la surconsommation et au reniement des valeurs humaines essentielles, dont la spiritualité et la pudeur dans le comportement. Peu d'Algériens savent l'histoire du Moyen-âge de leur pays, ne serait-ce que celle-là. L'oubli de notre mémoire séculaire profite au lobby colonial représenté de nos jours par le « Cercle des Algérianistes » revanchard, qui persiste et signe de l'autre côté de la Méditerranée, des textes où les chroniques algériennes sont infailliblement tronquées et vouées aux gémonies de la gloire française ancienne. L'histoire algérienne est réécrite depuis des lustres. Nous nous réveillons bien en retard. Vaut mieux tard que jamais. Tous les bienfaits sont venus du Nord pour les auteurs coloniaux. La poterie fut importée de Sicile. Le chameau et le cheval vinrent d'Orient. Le char des Garamantes emprunté à la Crête. Les Bretons communiquèrent aux Algériens leurs dolmens - grandes pierres dressées sur lesquelles est posée une grande pierre plate - et leurs menhirs - pierres isolées dressées dans le sol - que les Corses appellent Stantari et Stazzone. Ni les Corses ni les Bretons n'en furent les concepteurs. Le franchissement du Détroit de Gibraltar par les anciens Maghrébins était inconcevable du point de vue des auteurs coloniaux. Tous les bienfaits de la civilisation, la culture et le progrès vinrent du Nord. A travers tous les temps et tous les âges. Alors que le Détroit de Gibraltar n'est distant que d'une dizaine de kilomètres de l'Europe. De nos jours, les candidats à l'immigration clandestine en Europe traversent quotidiennement cette modique distance sur des embarcations de fortune. De même que la partie de la mer Méditerranée qui mène vers l'Italie.
Le cas Cid
Le cas de Cid Kaoui auquel on finit par accorder, sur le tard, la légion d'honneur pour son rôle d'interprète plutôt que pour ses qualités d'étymologiste et de lexicographe est assez édifiant. Connu à l'état civil, sous le nom de Saïd Kaoui Ben Mohand Akli, il est né en 1859 dans la région de Béjaïa. Il fut ancien élève du Collège de Constantine et officier interprète de première classe. Il est l'auteur en particulier du dictionnaire français-tamâhaq paru en 1891, plusieurs décennies avant les travaux du père de Foucault sur le même sujet. Malgré cela, Cid Kaoui fut rarement mentionné dans les travaux de dialectologie berbère. René Basset, qui fut son contemporain, le considérait comme un rival en puissance. Devant la véhémence de ses détracteurs, qui inférèrent auprès des hautes autorités de l'époque pour empêcher la publication de ses travaux, Cid Kaoui finit par éditer ses livres à compte d'auteur, sous forme de brochures fugaces. A l'époque, seuls les militaires avaient droit au chapitre, parmi eux le capitaine d'artillerie Delamare qui fut nommé membre de la commission chargée de l'exploration scientifique de l'Algérie. Léon Rénier apprêta, à la demande de l'empereur, un ouvrage sur les inscriptions romaines de l'Algérie. On refusait l'apport de Cid Kaoui au domaine berbère dont il était pourtant issu. L'explorateur Duveyrier qui personnalisait à l'époque on ne peut plus crûment, le mépris des intellectuels algériens par les mandarins français, écrivit le 4 septembre 1891 : « Cher Monsieur, vous m'avez écrit il y a deux jours, au nom de Monsieur le ministre de l'Instruction publique (...) Cid KaouiI n'est ni un nom français ni un nom arabe ou berbère. » En clair, cela signifiait que Cid Kaoui n'existait pas. Puisqu'il n'était ni Français, ni Arabe, ni Berbère. Il ne fallait pas que Cid Kaoui ait une quelconque qualification scientifique. Il ne devait émettre aucune opinion, n'exprimer aucune critique, ni se livrer à aucune analyse concernant la culture de sa culture ancestrale, kabyle.
Ba Hamou Al Ansari et Charles de Foucould
Machar Jebrine Ag Mohamed, et Ba Hamou AI Ansari Ben Adbesselam, secrétaire de Moussa Ag Amastan, Amenokal de l'Ahaggar, en firent les frais, chacun à sa manière, au temps de la colonisation. Le premier fut le guide de Henri Lhote. Auquel un de nos anciens ministres de la Culture, Ahmed Taleb AI Ibrahimi, fera un somptueux cadeau, puisé impunément dans le patrimoine national, comme s'il s'agissait de son bien propre. A l'abri d'Iheren, Henri Lhote, instruit par Machar Jebrine Ag Mohamed, guide et collaborateur indispensable à la mission de H. Lhote au Tassili, remarquera des empreintes de doigts à l'ocre rouge. De même qu'au refuge de Talewaout. On lui doit la découverte de plusieurs sites. Pourtant, le nom de Machar Jebrine Ag Mohamed (1890/1981) est rarement mentionné par H. Lhote, sauf pour les banalités liées aux prestations théières. Dans les années 1930, ce cicérone et grand connaisseur des fresques du Tassili avait déjà servi Brenans. Ailleurs on aurait dit « inventeur de tel ou tel site ». Comme ce fut le cas pour Marcel Ravidat, Jacques Marsal, Georges Agnel et Simon Coencas qui découvrirent la Grotte de Lascaux le jeudi 12 septembre 1940. La grotte des Trois Frères tire son nom des trois fils du comte Begouen, qui la découvrirent en 1910. Cette honnêteté intellectuelle n'avait pas cours en Algérie. Il y a un autre précédent à retenir au Tassili, en la personne du père Charles de Foucauld, auteur du dictionnaire Touareg-Français en quatre volumes. Le nom de Ba Hamou AI Ansari Ben Adbesselam, le secrétaire du Tebeul Moussa Ag Amastan, Amenokal de l'Ahaggar, chargé de l'éducation du père Charles de Foucauld en langues et civilisation Touarègues et coauteur émérite du fameux dictionnaire, n'apparaît nulle part dans l'œuvre du père de Foucauld. Le titre de ce travail colossal devrait être : « Dictionnaire Touareg-Français de Ba Hamou AI Ansari Ben Adbesselam et Charles de Foucauld. » Peu de gens s'en soucient. En guise de gratifications pour ce travail gigantesque, Ba Hamou était approvisionné en thé et en sucre par le père de Foucauld. Ce dernier avait utilisé quelques années plus tôt les services remarquables du rabbin Mardochée Abi Seror, pour consigner sa « Reconnaissance au Maroc », qui sera publiée en 1885. « J'écris des juifs du Maroc, dira le père de Foucauld, avec une pointe de xénophobie, moins de mal que je n'en pense. » On doit également au père de Foucauld (1858-1916), béatifié le 15 mai 2005 par le nouveau pape, une petite introduction au catéchisme qu'il intitulera : L'Evangile présenté aux pauvres nègres du Sahara
La Pierre Blanche de l'Oued Dierrat
Qu'est devenue la Pierre blanche de l'Oued Djerrat des Touaregs Kal Ajjer subtilisée par Henri Lhote au cours d'une expédition saharienne ? Une délégation de Touareg venue au musée de l'Homme à Paris demander la restitution de cette pierre fut menacée d'expulsion par Pierre Colombel, ex-collaborateur de H. Lhote. Colombel que les Touareg conviaient cordialement à leurs cérémonies du thé. En 1987, Lhote, sollicité une nouvelle fois, déclara « avoir » oublié où se trouvait cette pierre. Beaucoup de personnes ont vu cette pierre au musée de l'Homme et l'ont attesté. Les inscriptions libyques ou puniques du Maghreb ont fait les savants français de l'époque coloniale. Comme l'art rupestre a fait Henri Lhote. Sans ces traces incommensurablement riches de notre passé, le monde de la recherche en France aurait vécu à la traîne de leurs devanciers italiens ou allemands, tels que l'Italien Bartolomeo Borghesi ou le Prussien Théodore Mommsen. Les études paléographiques en Algérie se sont déployées dès la conquête du pays par les forces d'occupation française. A l'exemple de l'armée napoléonienne en Egypte, qui traînait dans son sillage une foule de savants, des militaires français lettrés garnissaient culturellement les rangs des colonnes expéditionnaires, adonnées impunément aux crimes et aux pillages des populations algériennes. Sauf qu'il n'y eut jamais de Champollion parmi les savants coloniaux en Algérie. A l'image de René Cagnat, Berbrugger, et des officiers et soldats tels que le colonel Carbuccia, chef de la Subdivision de Batna, ou encore F. Cardaillac, chirurgien militaire, ainsi que le colonel F. Reyniers. Les Français construisaient leurs casernes et leurs ponts à l'aide des blocs de pierres archéologiques. Le Turc Kheïr Eddine avait fait de même, il éleva la jetée du port d'Alger à l'aide de pierres prises sur le site de Cap Matifou. La collection d'objets archéologiques, toutes époques confondues, dont aucun gouvernement de notre pays n'a exigé le retour légitime en Algérie depuis l'indépendance, encombre les caves du musée du Louvre à Paris. Le rôle néfaste des chercheurs coloniaux français en Afrique du Nord se poursuit depuis des décennies en altérant et en corrompant le discernement documentaire des nouvelles générations de chercheurs maghrébins. Il ne s'agit pas de pousser nos historiens à écrire l'histoire, la protohistoire ou la préhistoire de manière chauvine, mais de nous réapproprier en toute vérité et objectivité les fondements intellectuels de notre identité nationale. Pour nos collégiens, nos lycéens, nos étudiants et tous ceux soucieux de comprendre autrement la civilisation de leurs ancêtres. Sachant toutefois que la confrontation dans le cadre de travaux érudits n'est pas synonyme d'affrontement ni d'antagonisme, elle permet beaucoup plus simplement de faire accéder le chercheur à des affinités décisives, en vue de modifier ou de faire avancer, objectivement les choses.
Collabore aux revues et publications.
Dernier article paru : Le Tassili N Aijer à Lascaux ?, Sahara Preistoria e storia del Sahara. N0 16. Italie, 2005.
Conférences/Symposiums récents :
XXIe Valcamonica Symposium, 8-14 septembre 2004, Brescia, Italie.
Colloque du GMPCA/CNRS Archéométrie 2005, (Institut national des sciences et techniques nucléaires), 19-22 avril 2005, Saclay (91). France.
Xe Congrès de l'ARIC, université d'Alger, Club des Pins. 2-6 mai 2005.
VIe Congress of Phoenician & Punic Studies, 26 Septembre -1er octobre 2005, université de Lisbonne - Portugal.


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