Le 19 Mars 1962, à 12 heures, l'arrêt des combats était total sur l'ensemble du territoire algérien. L'application de l'ordre de cessez- le- feu, signé la veille à Evian, était sans bavures. Après sept ans et huit mois d'une guerre atroce, c'était là une performance saluée autant par Louis Joxe que par le Gpra.Que l'OAS ait tout tenté pour saboter la paix en s'engageant dans une orgie d'assassinats – à commencer par le Maire d'Evian, Camille Blanc- qui a accéléré l'exode des pieds- noirs, voilà qui ne devait en rien affaiblir la volonté des deux pays de dépasser des rapports de domination révolus en leur substituant une relation plus respectueuse des normes de notre temps. C'était du moins l'esprit qui avait prévalu hors des négociations. Nos vis-à-vis, tout en défendant les intérêts de leur pays, étaient incontestablement des hommes de bonne volonté dont le souci majeur était de voir en l'ex- colonisé un nouveau partenaire. A l'époque, on ne parlait pas de repentance, mais de décolonisation, un concept qui impliquait l'idée de réhabilitation, de reconnaissance de l'homme par l'homme, d'égalité entre les peuples et du respect réciproque des souverainetés.Pour la France, c'était la sortie d'une tragédie où elle perdait son âme. Pour l'Algérie, c'était la consécration d'une indépendance arrachée de haute lutte et qui a rendu à son peuple la dignité et la liberté. Du côté algérien, malgré les épreuves indicibles, point de ressentiment à l'égard de l'ex- puissance coloniale dès lors que les objectifs nationaux ont été atteints.Du côté français, la victoire est morale, une victoire de la France sur elle-même, selon la formule du Général de Gaulle.Quarante ans après, il en est encore, en France, qui parlent de défaite. Les vieilles nostalgies ont la vie dure. Pourtant, à notre époque de remise en cause, s'il est un spectre qui doit être définitivement exorcisé afin de laisser place à la solidarité, à l'amitié, à l'ouverture à l'autre, c'est bien celui du colonialisme. R. M. *Membre négociateur des Accords d'Evian, ex-membre du HCE et ex-Premier ministre. Alger, le 28 janvier 2002.