Voici quarante sept ans, jour pour jour, le «gouvernement de la République» française et «le FLN» signaient les accords d'Evian au terme d'un conflit meurtrier, suivi d'une longue négociation. Krim Belkacem, chef de la délégation algérienne et ministre des Affaires extérieures du GPRA, et Luis Joxe, ministre des Affaires algériennes de de Gaulle, apposaient leur signature au bas d'un document de 2026 mots. Immortalisée par les reporters-photographes des agences internationales et diffusée en boucle par les télévisions du monde, l'image est lourde de sens. Son contenu la destine de facto à un cours de sémiologie de l'image. Krim Belkacem, chef de la délégation algérienne aux négociations d'Evian, pose pour les capteurs de clichés et de séquences filmées. Ses accompagnateurs du moment, Mohamed Seddik Benyahia, Tayeb Boulahrouf, Lakhdar Bentobal, Redha Yazid, font de même. Dans quelques secondes, ils s'engouffrent dans la salle de réception de l'hôtel du Parc d'Evian. Là où, à l'abri des regards, ils vont négocier avec les représentants du gouvernement français. Sans triomphe tapageur, les «missionnaires» du GPRA goûtent aux plaisirs de l'instant. Et quel instant : des «Français musulmans» privés des droits les plus élémentaires par la France coloniale enfin parés du plus symbolique des droits. Discuter d'égal à égal de l'avenir de l'indépendance de l'Algérie, contraindre Luis Joxe, le ministre des Affaires algériennes de de Gaulle, à une négociation serrée. Et sans concessions sur l'intégralité territoriale. Décrétés «hors-la-loi» par les gouvernements successifs, ils vont agir pendant de longues semaines en militants-diplomates. De l'hiver 1961 au printemps 1962, la ville-source sera la théâtre d'une des négociations les plus longues dans l'histoire des conflits contemporains. Une «grande confrontation» où se joue «le destin de l'Algérie, et aussi celui de la France, pour des années», selon un négociateur algérien. Le 18 mars 1962 au soir, Krim Belkacem et Luis Joxe apposent leur signature au bas d'un document officiel. Les accords d'Evian proclament un cessez-le-feu dès le lendemain, suivi d'un référendum d'autodétermination sur le sort des «trois départements français». Couverts à distance — huis clos oblige — par plusieurs centaines d'envoyés spéciaux de la presse internationale, les pourparlers d'Evian restent pour l'histoire comme la facette la plus médiatisée du mouvement national. Longtemps réduite par la presse «ultra» à une confrontation entre des «forces de l'ordre» et des «criminels» et autres «terroristes», la guerre sans nom se voit du coup créditée de comptes rendus sur les «pourparlers» entre deux belligérants. Véritable «psychodrame», selon Reda Malek, membre de la délégation algérienne, la négociation prend l'allure d'un «feuilleton à rebondissement» (*). De «suspension en reprise, de pourparlers publics en conciliabules secrets», elles dureront une petite année. Entamé secrètement via un intermédiaire, la diplomatie suisse en l'occurrence, le processus d'Evian a permis de dénouer le plus meurtrier et le plus sanglant des conflits de décolonisation. Loin d'être la première négociation du genre entre Français et dirigeants du FLN, les accords d'Evian avaient été précédés de plusieurs épisodes de pourparlers. Les unes secrètes, les autres publiques ou semi-secrètes, les discussions avaient commencé dès janvier 1956, un an à peine après le déclenchement de la révolution de novembre 1954. Confrontée à un adversaire réduit à un groupe de «hors-la-loi», affaiblie économiquement par le coût de la guerre, en butte à l'internationalisation du conflit, la France change de stratégie. Après avoir testé vainement la «politique de pacification», une option derrière laquelle se cache une intensification des opérations militaires, de Gaulle se résigne à négocier. Dans sa série sur la guerre d'Algérie, le journaliste Yves Courrière avait rappelé combien, au quotidien, le général avait l'esprit à Evian, tout en étant à l'Elysée. «Alors, c'est pour bientôt», disait-il à plusieurs reprises au téléphone à Luis Joxe, pressés d'en finir avec un conflit qui risquait d'exposer la France au coup d'Etat permanent. (*) Reda Malek. L'Algérie à Evian. Histoire des négociations secrètes 1956-1962. Paris, Le Seuil, 1995