Comment faire pour que 9 milliards d'humains arrivent à manger à leur faim ? Et ce, alors même que les contraintes, notamment environnementales, se font de plus en plus pressantes : l'agriculture consomme en effet 70% de l'eau douce de la planète et contribue pour 25% aux émissions de CO2, et à 50% de celles de méthane.Difficile donc d'augmenter la production sans remettre à plat les modes de culture actuels. Sans compter que les changements climatiques produisent des effets parfois imprévisibles sur les cultures : stress hydrique d'un côté, croissance plus rapide de l'autre, propagation de nouvelles maladies dans les cultures, pèseront sur l'évolution des rendements.Depuis une bonne décennie, les instances les plus officielles et les chercheurs les plus sérieux se penchent donc régulièrement sur la question. Depuis 2008, une bonne dizaine d'ouvrages sur le sujet auraient ainsi été publiés seulement en France. La réponse de la FAO - qui estime indispensable une augmentation de 70% de la production globale entre 2005 et 2050- fait généralement consensus.Mais quelles que soient les méthodes choisies pour atteindre cet objectif - nouvelle révolution «verte» ou, au contraire, généralisation de l'agro-biologie-, l'augmentation de la production, seule, ne suffira pas. C'est l'une des conclusions de Regards sur la Terre 2012, un ouvrage rédigé conjointement par l'AFD (Agence française de développement), l'Iddri (Institut du développement durable des relations internationales), et le Teri (The energy and resources Institute, en Inde) et dont le thème principal est, cette année, consacré à «changer l'agriculture?» Produire plus mais aussi gâcher moins Car il ne suffit pas de produire plus, encore faut-il que les denrées parviennent jusque dans les assiettes, autrement dit que chacun puisse les acheter. Mais aussi qu'elles ne soient pas l'objet d'un immense gâchis. Ainsi que le note Jean-François Soussana, de l'Inra, aujourd'hui, le déficit calorique lié à la sous-alimentation représente moins de 10% de la production mondiale. Or près de 40% de la production alimentaire mondiale est perdue après récolte ou gaspillée. En outre, 40% des céréales servent à nourrir le bétail et 6,5% à produire des biocarburants. Bref, avant d'augmenter la production -et, peut-être, d'en gaspiller à nouveau 40%!- déjà faudrait-il se pencher sur d'autres problèmes: les infrastructures de stockage, de transport et de commercialisation, dans les pays les plus pauvres, par exemple. Mais aussi les modes de vie, qui via les carburants -et donc les biocarburants- et une consommation carnée très importante dans certaines parties du monde grignotent les récoltes. Le gâchis dans les pays du Nord (25% des aliments achetés en Grande-Bretagne seraient jetés) n'est pas non plus qu'une préoccupation environnementale: il influe sur les approvisionnements des pays du Sud. Car même si d'importants rééquilibrages ont lieu, «tous les pays du monde ne pourront être totalement autosuffisants en matière alimentaire et une part des approvisionnements continuera donc de dépendre du commerce international», estime Pierre Jacquet, économiste en chef de l'AFD.
Maîtriser la demande «Comme pour l'énergie - où, avant de produire des énergies renouvelables, il s'agit d'abord de diminuer les consommations-, il faut aussi réfléchir à la maîtrise de la demande, même si c'est un sujet largement tabou», explique Sébastien Treyer, directeur des programmes à l'Iddri. Il ne s'agit bien entendu pas de demander aux plus pauvres de restreindre leur alimentation. Mais bien plutôt d'infléchir les modes de consommation, à l'Ouest bien entendu mais aussi dans les pays émergents où les habitudes alimentaires sont en plein bouleversement : partout dans le monde, la hausse des revenus s'accompagne d'une augmentation de la consommation de produits carnés, constate ainsi l'ouvrage, qui se penche sur les cas de la Chine et de l'Inde: si celles-ci peuvent espérer conserver ou atteindre l'autosuffisance en matière céréalière, les deux pays auront des difficultés majeures à produire assez d'aliments d'origine animale. Ainsi, en 2010, la Chine a importé 55 millions de tonnes de soja (dont 85% pour l'alimentation animale) et 1,5 million de tonnes de maïs. L'extension de ces modes de consommation au reste du monde poserait le même type de problème.
L'industrie agroalimentaire a un rôle à jouer Dans ce contexte, le rôle de l'Industrie agroalimentaire (IAA) est déterminant, constate le rapport. Car elle contribue largement à modeler les consommations, et partant, les cultures.Or cette industrie est désormais internationale et hyper concentrée : ainsi 64% des IAA viennent des pays à très haut revenu (16% de la population), 30% des pays émergents et 6% seulement des pays en voie de développement. Et 10 pays concentrent 85% de la production mondiale des IAA. Autant dire qu'elles modèlent les modes de consommation partout dans le monde, même si de nouvelles multinationales de l'alimentaire se développent aussi dans les pays émergents, comme le Brésil. Bien sûr, les IAA contribuent aussi à une meilleure sécurité alimentaire. Mais, estiment les auteurs, la durabilité du système alimentaire mondial ne sera assurée que si ces multinationales cohabitent avec des réseaux de petites entreprises capables de valoriser les cultures et les habitudes alimentaires locales. C. B.