DOK, alias Dahou Ould Kablia, comme l'appelle une consœur politique, aura beau montrer patte blanche démocratique, ses compatriotes en âge de voter penseront toujours au loup, à la chèvre et au chevreau de la fable de La Fontaine. Ils sont tellement dépités par les politiques, si méfiants à l'égard du pouvoir et profondément désenchantés par la politique qu'ils ne croient plus qu'en… Dieu. Même pas en le chef de l'Etat qui a tant souhaité faire des législatives du 10 mai l'acte 1 d'une construction thaumaturgique de la démocratie algérienne. Rien n'y fait. Le ministre de l'Intérieur pourra donc multiplier les gages d'intégrité de l'Administration et donner des assurances quant à la sincérité du scrutin, les Algériens pensent que tout ça c'est du khorti. En verlan algérois, cela veut dire que le ministre, voix du pouvoir, «joue tout seul de la ghaïta». Autrement dit, même sincères, ses paroles sont des bobards d'or. Le dépit électoral des Algériens et leur désenchantement politique, sont d'ailleurs palpables, notamment face aux panneaux électoraux. Il faut entendre leurs lazzis devant les affiches, nombreuses à être lacérées ou taguées, presque partout à Alger et souvent ailleurs. Des panneaux électoraux sont mis à terre, geste rageur d'électeurs désabusés qui se disent «tous les mêmes, tous pourris !» Pour s'en convaincre, il suffit de lire les tags persifleurs et les graffitis frondeurs sur les affiches des listes électorales lorsqu'elles ne sont pas déchirées ou arrachées. Presque pas un seul quartier d'Alger n'échappe à cette vindicte politique, à cette rage civique et à ce bouillonnement démocratique qui s'expriment à l'envers. On pourrait y voir une attitude incivique, mais il s'agit en fait d'un comportement qui s'exprime a contrario, de plus en plus fort à mesure que se rapproche l'échéance électorale. S'accumulent partout les signes d'une abstention comme jamais un pays n'aura connu en termes de désaffection électorale, de déception politique et de désabusement démocratique. Malgré le trucage systématique des résultats électoraux, les chiffres officiels de l'abstention ont toujours été élevés. Cette fois-ci, le taux d'abstention réel des législatives du 10 mai risque d'enregistrer de nouveaux records à la hausse. Il est alors frappant de noter que le refus de voter, exprimé massivement dans la rue et sur les forums sociaux devient, paradoxalement, un acte civique, une attitude citoyenne, tout aussi responsables que l'acte de voter. Le vrai parti d'opposition qui est en train de se construire, sous nos yeux, est celui de l'abstention. Je m'abstiens électoralement, donc je suis politiquement et, demain, démocratiquement ! C'est une véritable révolution citoyenne, à rebours de l'ordre établi, qui n'est ni incivique ni incivile, qui se déploie sous les regards, avec comme carburant la défiance et l'indignation. Elle traduit puissamment l'absence de confiance entre les Algériens et le pouvoir et entre les mêmes électeurs et l'offre politique. On dit, à tort, que nos compatriotes sont apolitiques, dans le sens où ils n'auraient pas d'opinion. Ou, dans le meilleur des cas, qu'ils seraient neutres. En vérité, et il n'y a qu'à visiter la blogosphère, les forums sociaux et les plateformes de chat pour constater leur engouement philosophique pour la politique. Leur volonté de ne pas aller voter est en soi un fait éminemment politique. Il consiste à ne pas exercer leur droit civique, convaincus qu'ils sont que le jeu politique actuel ne vaut pas la chandelle démocratique de demain. Nos compatriotes, potentiels abstentionnistes, n'ont rien inventé de bien nouveau en la matière. Dans l'Antiquité, les Epicuriens avaient déjà théorisé le désengagement par rapport à la vie de la Cité. Il est donc absurde, pour ne pas dire idiot, de criminaliser l'acte d'abstention comme l'a fait imprudemment et impudemment un certain commis de l'Etat aux droits de l'Homme ! Ou encore de verser dans le délire paranoïaque comme ce chef délégué d'un ancien parti unique qui a estimé que les appels des jeunes à s'abstenir de voter seraient des encouragements aux «ennemis» d'hier, d'aujourd'hui ou même d'après-demain de l'Algérie pour «la déstabiliser». Ailleurs, là où la démocratie est un rituel, le oui, le non, le blanc et l'abstention et même les appels à ne pas voter, sont les étalons de mesure de la banalité démocratique. Le pouvoir algérien, qui a vidé la politique de tout sens et dévalorisé l'acte de vote en faisant des rendez-vous électoraux la démonstration du génie falsificateur de ses Naegelen de labos interlopes, récolte aujourd'hui les grains de ce qu'il a longtemps semé. Les Algériens sont, avec leur génie propre et leur humour corrosif, de fins politiques. Ils ne sont pas apolitiques ou inciviques par prédétermination. Il n'est que de s'attarder dans quelque café maure ou devant quelques panneaux électoraux encore debout pour recevoir de certains d'entre eux de magistraux cours de philosophie politique. Et il n'est que de voir aussi des affiches de pommes de terre collées sur celles des partis pour comprendre qu'ils ont tout compris. Quand ils disent que la «pomme de terre reste le problème politique numéro un» en Algérie, ces politologues anonymes ont tout compris de la politique. Surtout à l'heure où les prix de la pomme de terre tutoient, en proportion, ceux du caviar. C'est pour cela que ces dépités de la politique politicienne, la «boulitik» algérienne, celle qui vous fait dégoûter de la politique, ont décidé d'envoyer la patate à l'APN. De quelle façon ? En s'abstenant de voter pour les patates de la «boulitik» ! N. K.