C'est parti : on est en pleine spéculation… sur les risques de voir une vague spéculative emporter la France au lendemain du second tour de l'élection présidentielle. Avant de céder à la panique ou de dénoncer les financiers apatrides, il serait peut-être judicieux d'essayer de mesurer la probabilité d'un tel événement.Evidemment, il ne faut pas être naïf : la spéculation, cela existe. Et des financiers qui seraient heureux de mener la vie dure à un Président français de gauche, cela existe aussi. Mais on ne peut pas dire que, depuis quelques jours, les marchés se montrent très indulgents envers le nouveau gouvernement espagnol, pourtant de droite. Et si Silvio Berlusconi n'est plus au pouvoir à Rome, il le doit au moins autant aux marchés qu'à ses électeurs.Pour ceux qui aiment les sensations fortes, il est sans doute agréable de se faire peur en évoquant le mur de l'argent et le spectre des deux cents familles, de même que, enfants, ils frissonnaient en attendant l'apparition du loup dans le Petit Chaperon rouge. Mais tous ceux qui sont amenés à s'exprimer publiquement sur ces sujets devraient faire preuve d'une certaine retenue : les crises financières constituent un sujet trop sérieux pour qu'on puisse en parler avec légèreté. Qui parle de crise ? Les premiers à exposer leurs craintes sont naturellement les plus pessimistes (les intéressés diraient : les plus lucides). On peut avoir une certaine indulgence à leur égard dans la mesure où leur propos se veut pédagogique. Ils ont raison : le prochain Président va hériter d'une situation budgétaire difficile qui n'autorisera aucune fantaisie, aucun signe de laxisme. Une élection, ce n'est pas un tour de magie : on peut changer de dirigeants, on ne change pas la réalité. En tout cas, on ne la change pas instantanément. Et les marchés pourraient rapidement rappeler à l'ordre ceux qui se montreraient trop pressés ou trop oublieux des réalités de la dette et du déficit de l'Etat.Ensuite, parmi les plus prompts à annoncer une nouvelle crise, arrivent des financiers qui ont trouvé un bon moyen d'améliorer à la fois leurs revenus et leur image médiatique : n'est-il pas merveilleux de gagner de l'argent en exerçant le métier de financier, d'une part, et en dénonçant la cupidité de ses collègues, d'autre part ? On gagne sur tous les tableaux ! C'est d'autant plus agréable que c'est facile. Pour être écouté, il ne faut surtout pas être pondéré : il faut annoncer des catastrophes ou des miracles. Et, vu la façon dont la finance évolue depuis une douzaine d'années, on paraît plus crédible, si on choisit le scénario catastrophe.
Théorie du complot, encore ! Enfin arrivent les politiques. A l'extrême droite comme à l'extrême gauche, on a la même détestation de la finance internationale et des marchés : toutes les informations qui peuvent aller dans le sens du complot contre la France sont accueillies avec empressement. Et, dans les partis dits «de gouvernement», ceux qui occupent le pouvoir aujourd'hui ont tout intérêt à dire que ce sera le chaos s'ils sont chassés demain. Au total, cela fait beaucoup de gens qui ont de solides raisons de brandir la menace d'une attaque de la France sur les marchés.
Dans la réalité, qu'en est-il ? Premier point : c'est vrai, les marchés sont nerveux actuellement. Mais leurs principaux sujets d'interrogation portent d'abord sur l'ampleur de la reprise américaine et l'évolution future de la politique monétaire de la Réserve fédérale, ensuite sur la vigueur de l'économie chinoise. Quant à l'Europe, l'interrogation porte globalement sur la croissance; si l'on fait une analyse pays par pays, ce sont l'Espagne et l'Italie qui inquiètent le plus.
La France n'est pas le centre du monde Au risque de décevoir nos compatriotes, il faut le dire: la France n'est pas le centre du monde et, même dans les milieux financiers, nos élections ne constituent pas le principal sujet d'étude.Deuxième point : il est vrai aussi que les milieux financiers n'aiment pas le changement et qu'entre un gouvernement de gauche et un de droite, leur préférence ne fait pas de doute. Mais on n'est plus en 1981, alors que l'URSS existait encore et que des communistes risquaient d'entrer au gouvernement français. Les objectifs de François Hollande et de Nicolas Sarkozy en matière de redressement des finances publiques sont assez proches, même si des différences sensibles existent quant aux moyens de les atteindre. L'élection de l'un ou de l'autre ne provoquerait de remous sur les marchés que si ces objectifs paraissaient devoir être abandonnés. En fait, beaucoup dépendra de la façon dont celui qui gagnera la présidentielle abordera les législatives et sur quelle majorité il pourra compter. On ne peut exclure quelques remous tant que tout ne sera pas définitivement bouclé, le 17 juin. Mais rien aujourd'hui ne laisse présager de séisme.
La finance, ennemie… De ce point de vue, il est difficile de reprocher à François Hollande d'avoir tenu un langage rassurant à Londres après avoir déclaré dans un meeting au Bourget que son principal ennemi était la finance. A quel moment était-il le plus sincère? La réponse à la question viendra dans les prochaines années s'il est élu, mais il est de bonne politique de ne pas heurter de front ses supposés ennemis avant d'avoir conquis le pouvoir et de l'avoir consolidé. Quelle que soit leur opinion, les Français devraient se féliciter d'avoir la perspective d'un changement en douceur, si changement il y a.Mais, direz-vous, et cette affaire Eurex, ce nouveau contrat à terme sur les obligations françaises ? Pourquoi les financiers ne se doteraient-ils pas d'outils spéculatifs nouveaux s'ils n'avaient pas l'intention de s'en servir ? Cette affaire appelle quelques observations rapides.Premier point : Eurex, filiale de Deutsche Börse, est une entreprise privée, dont la seule préoccupation est de gagner de l'argent. Elle lance ce produit parce que les sondages réalisés auprès de ses clients lui font penser qu'il y a une demande.Deuxième point. Pourquoi y a-t-il une demande ? Parce que, depuis la crise européenne, les taux d'intérêt à long terme ont divergé au sein de la zone euro et que les contrats existants du même type (quatre sur les taux allemands du moyen au très long termes et un sur les taux italiens) ne suffisent plus aux besoins des investisseurs. Si ce contrat à terme sur les OAT françaises arrive maintenant, ce n'est pas uniquement par référence aux élections, même si l'on constate que, des trois échéances proposées, seule celle de juin fait actuellement l'objet de transactions. Quand, autrefois, le marché à terme français, le Matif, proposait un tel contrat, personne ne criait au scandale.
… ou amie ? Troisième point : un contrat à terme sert d'abord d'instrument de couverture avant de devenir, éventuellement, un instrument de spéculation. Les investisseurs peuvent être davantage enclins à acheter des titres d'emprunt français s'ils savent qu'ils peuvent se couvrir contre des pertes éventuelles. Il y a, actuellement, nous l'avons dit, quatre contrats existants sur l'Allemagne et les titres allemands sont les plus recherchés, avec les taux les plus faibles : autour de 1,75% à dix ans contre 3% en France, ce qui montre bien qu'être l'objet de contrats à terme n'est pas forcément négatif.Bref, on ne peut pas exclure des mouvements sur les taux français : les périodes électorales sont toujours des périodes sensibles. Mais il faudrait que deux conditions soient réunies pour que ces péripéties se transforment en crise : que l'environnement européen se dégrade de nouveau et que les dirigeants français, sortis des urnes en mai et juin, ne se montrent pas capables de créer un climat de confiance. Ce n'est pas le scénario le plus probable. G. H.