Chakib Khelil l'affirmait ce samedi à Alger, lors de la visite de J.L Borloo ministre de l'environnement français, la spéculation et le bioéthanol sont à l'origine de l'envolée du brut. Excluant toute hausse de la production avant la tenue du prochain sommet de l'OPEP en septembre, le président de cette organisation et ministre de l'énergie algérien, C.Khelil affirme " Il n'y a pas de problème d'offre, le problème est beaucoup plus lié à la spéculation ". (Voir Le Maghreb du lundi 02 juin en page 07) “Le marché du pétrole est devenu "complètement fou". C'est le secrétaire général de l'OPEP, Abdullah al-Badri, qui l'affirme. Emboîtant le pas à son président, le secrétaire général décrète que la flambée du prix de l'or noir s'explique par la récession aux Etats-Unis et la baisse du dollar. Les réactions n'ont pas été tendres ni d'ailleurs complaisantes avec les deux responsables de l'OPEP. Ainsi, certains analystes ont rétorqué de go que : " si récession il y a, elle serait plutôt de nature à modérer la consommation de brut. Quant à la corrélation négative entre pétrole et dollar, elle n'est certainement pas aussi marquée que celle qui prévaut entre l'or et le billet vert." Mais, pour le secrétaire général de l'OPEP, ce sont surtout les spéculateurs qui contribuent à la hausse des prix. " Habile manœuvre du cartel pour s'éviter l'ire des gouvernements occidentaux qui veulent le pousser à augmenter la production " rétorquait-on ce lundi du côté de New-York. " Un doctorat en économie n'est pas nécessaire pour comprendre qu'il y a problème lorsque le prix d'un bien est en hausse alors que l'offre est excédentaire par rapport à la demande et que les stocks augmentent. Une première explication est donnée par la courbe des prix futurs du pétrole. Lorsque ceux-ci dépassent le prix courant, les producteurs peuvent être tentés de retarder la livraison. Cette situation dite de "contango" serait dès lors propre à lancer la valse des prix. " explique le président de l'UBS (Union des Banques). Théoriquement fondée, cette réaction n'a que peu de corroboration empirique: que ce soit sur les marchés des changes, des capitaux ou des matières premières, la valeur prédictive du prix "spot" par les contrats à terme reste faible. Face à une offre relativement stable et prévisible, mieux vaut analyser la demande pour mesurer le degré de spéculation excessive. C'est vers la Chine que tous les regards se tournent lorsqu'il s'agit de trouver la demande excédentaire de matières premières. La semaine dernière, un gérant de fonds alternatif américain a soumis une étude au Sénat qui démontre que les caisses de pension auraient joué un rôle équivalent à la Chine ces cinq dernières années. Ceux que Michael Masters appelle les "spéculateurs indiciels" bloqueraient le marché des "futures" par leur achat d'indices liés aux matières premières pour profiter de leur faible corrélation aux autres classes d'actifs. Il y a certainement une part de spéculation dans la hausse du prix des matières premières liée au poids important de certains investisseurs dans des marchés restreints. La baisse, lorsqu'elle interviendra inévitablement, pourra aussi s'expliquer par le même argument. Le procès des spéculateurs The Economist, Paul Krugman (New York Times), Martin Wolf (Financial Times), Charles Wyplosz (Institut des Hautes études internationales): avec une belle unanimité, le tribunal des économistes renommés acquitte les spéculateurs. " Non, juge-t-il, ceux-ci ne sont pas responsables de l'envolée du prix des matières premières, du pétrole en particulier. " Objection, votre honneur! Malgré leur batterie d'arguments, aucun de ces esprits affûtés ne répond à cette question toute simple: si les fondamentaux de l'offre et de la demande plus quelques goulets d'étranglement provoquent la hausse actuelle de l'or noir, comment se fait-il que celle-ci atteigne 40% en six mois? La voracité des Chinois n'explique pas tout... William Engdahl, un vieux renard de la géopolitique du pétrole, pense que 60% du prix actuel relève de la spéculation. Contrairement à beaucoup d'analystes, il aime fouiner dans les archives et démonter les mécanismes dont il parle. Ceux qui régissent le marché du pétrole sont d'une stupéfiante opacité. Le seul fait que les anticipations des "experts" sur le prix du baril varient entre 70 et 200 dollars atteste de la fiabilité de leurs outils d'analyse... Dans les archives, Engdahl a retrouvé un rapport du Sénat américain daté de 2006. "Il existe des preuves substantielles pour conclure que la forte spéculation sur le marché a augmenté les prix de façon significative", y lit-on. A l'époque, le baril de pétrole se traitait autour de 60 dollars! Un organe gouvernemental, la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), est chargé de contrôler ces mouvements, car - c'est un fait peu connu- la loi américaine limite depuis des décennies les positions spéculatives sur les marchés des produits de base. Mais tandis que la CFTC surveillait les contrats à terme ("futures"), elle n'a pas vu exploser les dérivés à terme négociés de gré à gré, sur des marchés électroniques non réglementés, avec effet de levier bien sûr. Une fois de plus, l'imagination financière l'a emporté sur le régulateur. Quelques-uns ont fait de juteux profits, les autres paient la facture. Prétendre comme le fait The Economist que le prix des contrats à terme n'a pas d'influence sur celui du baril "réel" est contestable: l'anticipation de hausse pousse les compagnies à augmenter les stocks. " Ceux-ci ne sont pas particulièrement élevés en ce moment, écrit l'hebdomadaire. " Qu'en sait-il réellement? Les stocks sont déclarés, mais faut-il faire confiance aux chiffres officiels? Peut-être pas. C'est ce que suggère la CFTC elle-même, après s'être fait remonter les bretelles la semaine dernière au Sénat. "Si vous étiez Popeye, je vous donnerais une boîte d'épinards, il est grand temps de vous muscler", lançait mardi dernier la démocrate Claire McCaskill au chef économiste de la commission qui, il y a peu encore, minimisait le problème. Jeudi, rompant avec sa discrétion habituelle, la CFTC annonçait qu'elle enquête sur de possibles manipulations de marché. Les pistes s'orientent vers les mieux placés pour commettre des délits d'initiés: les détenteurs de stocks et les courtiers. Cela étant, les plus gros mouvements spéculatifs proviennent tout simplement des fonds de pension (les retraites) qui cherchent à diversifier leur portefeuille en le protégeant contre l'inflation en ces temps agités. En cinq ans, les montants investis dans les matières premières sont passés de 13 à 260 milliards de dollars. Quand ces marchés sont de taille réduite, comme celui du cacao, l'avalanche d'argent a des effets dévastateurs. A mi-mai, les positions spéculatives à terme sur le cacao représentaient 655 000 tonnes, presque autant que tous les achats de l'industrie elle-même. "La spéculation à court terme n'apporte aucune plus-value à l'économie. Les consommateurs paient plus et les paysans ne gagnent pas mieux", dénonçait le patron de Lindt (LISN.S) Ernst Tanner en avril dernier. Un négociant en café (30 ans d'expérience) est encore plus alarmiste. "Nous nous étions habitués aux interventions intempestives des hedge funds tant que leur nombre était limité, mais là, ce n'est bientôt plus gérable", dit-il en substance. Dans le secteur des matières premières, complexe et semé d'embûches, les acteurs se connaissaient et fonctionnaient "un peu comme une cordée en montagne", expliquait ce négociant à la presse spécialisée. Or l'arrivée massive de fonds spéculatifs est en train de faire exploser toutes les règles du jeu et de fragiliser les sociétés les plus solides. Face à cela, on peut adopter la ligne fataliste de l'hebdomadaire Barron's. Pour lui, l'agitation actuelle signale l'éclatement prochain de la bulle: le marché corrige lui-même ses excès. On peut aussi adopter la position cynique de Goldman Sachs et "remercier le spéculateur" qui accélère notre prise de conscience de la rareté des matières premières. L'argument est mignon. Mais Goldman Sachs est justement une des principales banques dont les conflits d'intérêt potentiels et les opérations sur le pétrole justifient une attention soutenue. L'opacité actuelle sur les marchés des matières premières pousse aux manipulations. Dans le cas du pétrole, les soupçons sont désormais officiels. Aux enquêteurs de faire leur boulot.