Mais en fait qu'est-ce qu'une capitale, si ce n'est un cinéma, un théâtre, une librairie, un resto, un bistrot et un café ? Une ville, c'est un film, une pièce, un livre, un verre de quelque chose et une dose filtrée de robusta ou d'arabica au fond d'une petite tasse. Des villes comme Paris sont tout cela à la fois : le café, le café-bar, la brasserie et le bistrot sont le théâtre où la convivialité se vit comme au cinéma. Une ville où le journal et le livre sont ouverts au café du coin, devant un verre, une tasse, une assiette. Dans des métropoles comme Paris, Londres, Rome, Bruxelles ou Barcelone, il y a le café-concert, le café-philo, le café-théâtre, les bars à thèmes et le troquet de tous les instants où l'on vient jouer son turf du jour, ses chiffres du loto de la semaine, gratter sa chance quotidienne et, bonheur ordinaire, boire un noir chaud, siffler une pinte fraîche et lire son quotidien pour échapper à la noirceur du quotidien. Ici ou là, la convivialité est sur scène quand elle n'est pas mise en scène dans des établissements où elle est source de commerce lucratif pour les uns et de commerce agréable pour les autres. A Alger, qui n'est pas Paris ou Rome, loin s'en faut, la convivialité dans des cafés souvent malodorants, cradingues et mal accueillants, n'a pas la saveur d'un pur arabica moulu. Encore moins la sapidité d'une chope de malt brassé dans des estaminets rares, encore plus louches et plus encore, mal famés. Le café maure d'antan, joyeux, coquet et accueillant est aujourd'hui un café mort. Au sens où malvie et malbouffe s'y côtoient dans des bouillons de cultures… microbiennes. Alors, la convivialité, le livre et le journal ouverts face à une tasse ou un verre, surtout n'y rêvez pas ! Ici ou là, le café, rarement servi dans des tasses, est presque toujours un robusta bien robuste, acide, âcre, fort astringent. Les Algérois qui en sont fort amateurs l'appellent d'ailleurs qahwa goudroune, le café-goudron, toujours bien serré, qui vous lacère la gorge et vous déchire les entrailles ! Le café maure où les serveurs ont des chemises blanches comme le café-goudron, est le lieu de prédilection de consommateurs compulsifs, impulsifs, empressés, souvent pressés de prendre un robusta très serré. Rares sont à Alger les cafés où l'on vous sert dans des tasses propres, pas des verres mal lavés, un expresso italien ou un Nespresso de bon arabica. Quant à y lire son livre, c'est une autre histoire. Pourtant, dans l'Alger d'un autre temps, on buvait du café au café. Et le café du coin avait un nom odoriférant. Il était un lieu de rendez-vous. Un coin de convivialité et un espace de culture où les bons esprits s'y retrouvaient. Le café s'appelait le Milk-bar, Le Névé, Le Novelty, Le Lotus, Le Tantonville, Le Terminus, le Boule-Mich, le Café Malakoff, le Dôme ou Le Coq Hardi. Et, c'est sérieux, il y avait même des cafés thématiques avec des scopitones, des Juke-box et des tourne-disques. En ces temps, naguère socialistes et l'islamisme en moins, le café n'était pas un qahwa goudroune. Certains cafés s'appelaient Café Oum Kalsoum, Café Farid El Atrache ou Café Abdelhalim Hafez où l'on écoutait aussi Hadj, M'hamed El Anka et Dahmane El Harrachi. En ces temps d'Alger-café, le cafetier était sympa. Souriant, volubile et avait une chemise blanche comme les murs d'Alger. On buvait du café, pas du qahwa goudroune. Et on y broyait rarement du noir. C'était Alger-café. Alger-désir. Alger-plaisir. N. K.