A crise mondiale, réponses régionales et mondiales. A risque national, réponse nationale. Aux Etats-Unis, d'où a déferlé le tsunami de la crise financière, tout le pays est mobilisé derrière une Administration soudainement devenue un Etat démiurge. Dans l'espace euro, après flottement et affrontement éphémère des ego nationaux, les dirigeants européens montent en commun au front et apportent des réponses concertées et urgentes aux défis de la crise. Dans le sillage de la conduite énergique et ferme de l'UE par le président Nicolas Sarkozy, l'Europe fait front commun avec l'Asie, la Chine en tête, au 7ème sommet du forum Europe-ASEM. Dans toutes les régions du monde, l'heure est aux blocs unis et les dirigeants du monde abandonnent leur novlangue habituelle et les conflits d'intérêts pour faire face ensemble à la crise. Quid de l'Algérie ? Rien ou presque n'est venu concrètement secouer la quiétude euphorisante qui s'est emparé des élites politiques et économiques du pays. Bien tranquilles, elles trouvent à notre économie qui se «shoote» aux hydrocarbures un providentiel système immunitaire. Son sous-développement et l'absence d'arrimage à la mondialisation deviennent miraculeusement des protections «génétiques». Toutefois, outre quelques voix atones d'experts et de quelques folliculaires qui ont tiré la sonnette d'alarme, il y a les voix, plus fortes et plus audibles, du président de la République et du chef du gouvernement. A l'opposé des paroles lénifiantes des uns et des autres, ils ont, eux, sonné le tocsin du danger et du risque de voir l'économie nationale s'abandonner au «syndrome Djeha». Cette façon bien algérienne de voir toujours le danger sur le trottoir d'en face, qui veut donc que le feu soit virtuel tant qu'il n'a pas atteint nos cuisines ou nos chambres à coucher. Mais le danger est aujourd'hui là et bien là. Demain, encore plus. La crise financière mondiale a atteint désormais l'économie réelle à l'échelle planétaire. Riches, moins aisés et pauvres, personne n'est à l'abri quand bien même le sous-développement de certains les aurait provisoirement prémunis contre celle-ci. Face au rétrécissement de la demande mondiale et de la chute du prix du pétrole qui fait planer le spectre de 1986, l'extrême fragilité de l'économie algérienne et sa dépendance quasi absolue au hydrocarbures se résument par quelques chiffres : facture d'importations globale de près de 30 milliards de dollars, dont le faramineux montant d'environ 6 milliards USD affectés aux produits alimentaires et, surtout, l'enveloppe scandaleuse des importations médicales, qui avoisine le milliard de dollars pour le seul premier semestre 2008 ! Pis, à ce train de vie d'un pays qui dépense d'une manière compulsive s'ajoute la question délicate des transferts de bénéfices de sociétés étrangères. Des experts algériens, bien avisés, ont mis l'accent sur le risque de voir ces transferts remplacer, à terme, la dette extérieure qui a été ramenée pourtant à son étiage le plus bas au cours de ces dix dernières années. Ces experts le disent : de six milliards de dollars en 2007, ces transferts, qui ont suivi une courbe ascendante depuis 2005, risquent d'atteindre la barre des 50 milliards de dollars à l'horizon 2025. Certes, il faut se féliciter de la réorientation patriotique et souveraine de l'économie algérienne, précisément des mesures de sauvegarde et de protection prises par le gouvernement, notamment du privilège de primauté accordé aux fabricants nationaux de médicaments. Il faut louer aussi la sage et prudente gestion de nos avoirs à l'étranger placés dans des valeurs sûres et garanties. Efficace, judicieux mais bien insuffisant face au spectre de la récession, voire de la dépression qui affecterait l'économie mondiale. L'attitude indolente et alanguie des Algériens rappelle bien à propos cette formule dont l'ancien président Ahmed Ben Bella use pour pointer notre comportement atavique face au danger : «L'oued en crue l'emporte et, lui, n'éprouve que la sensation de fraîcheur de l'eau !» Le danger est plutôt là, dans cette incapacité collective à réfléchir ensemble, à développer des débats synergiques, à mutualiser les intelligences et les capacités de réflexion. Comme le vide crée le vide, on constate l'absence cruelle de structures de concertation collégiale efficaces et opérationnelles entre le gouvernement et les forces vives économiques et sociales. Dans un entretien de presse où ses mots ne sont pas taillés dans cette langue de bois d'ébène typiquement algérienne, Reda Hamiani, président du FCE, déplorait la faiblesse du dialogue entre l'Exécutif et les partenaires économiques et sociaux dont le cadre est l'évanescente «Tripartite». Avec les partis politiques, il évoque des échanges tellement confidentiels qu'il est impossible de les qualifier. Quant à des capacités nationales dans le domaine du Think Tank et du brassage des idées devant alimenter la réflexion nationale et armer les prises de décisions au niveau de l'Etat, Hamiani évoque l'existence d'un petit groupe de travail engagé laborieusement sur des réflexions thématiques. Précisément, qui «a quitté le stade de la réflexion pour celui du pilotage». Si le FCE réfléchit sans communiquer pour autant, qu'en est-il alors du CNES, des syndicats et de l'université ? Rien d'audible en tout cas, à l'exception de quelques voix isolées qui trouvent refuge dans les colonnes de la presse. A situation exceptionnelle, réflexion et mesures exceptionnelles. Les forces vives du pays sont ainsi appelées à former un bloc économique, politique et social solide. A aider l'Etat à ne pas se cantonner dans son rôle complexe d'animateur, de contrôleur, de régulateur et d'investisseur actif presque unique. L'action publique a plus que jamais besoin de la force, de la clairvoyance et de la richesse que procure la mutualisation des énergies et des intelligences nationales. Intervenant dans un contexte de crise économique mondiale et de diminution progressive des ressources financières du pays, le prochain scrutin présidentiel offre aux forces politiques, économiques et sociales du pays l'occasion historique de former un front patriotique uni, au-delà des identités des uns et des autres et de leurs visions divergentes d'un meilleur futur démocratique commun. N. K.