Le romantisme révolutionnaire est comme l'été quand, s'agrippant à la terre qu'il a tant illuminée, refuse de céder la place à l'automne et ses premières froideurs. C'est ce qu'on appelle alors un été indien. Le déclin des saisons est pourtant inéluctable et le cycle normal de la succession finit toujours par reprendre ses droits. Les premières années de l'indépendance algérienne, quand le mot patriotisme avait encore un sens, ont quelque part prolongé la communion réalisée par la guerre d'indépendance. On peut appeler cela de la naïveté patriotique, car pendant que le peuple répondait spontanément et sincèrement aux mots d'ordre de ses dirigeants et que les fonctionnaires faisaient tourner la machine sans être payés, de plus malins accaparaient richesses et biens et posaient déjà les jalons d'une économie de la prédation et de la rapine. Avers et revers de la médaille, cela aussi était normal. Il n'empêche, l'espérance était portée par le rêve, un rêve autorisé par le fol idéal d'un désir d'indépendance qu'une poignée d'illuminés s'étaient jurés de réaliser en guidant honnêtement le peuple et en le menant à la victoire. A l'évocation d'une terminologie en vogue dans les années 60-70, certains ne s'empêcheraient pas, peut-être, d'afficher aujourd'hui un sourire de condescendance. Les «tâches d'édification nationale», les «1 000 villages socialistes» à construire, la «démocratisation de l'enseignement», «la mobilisation pour la réussite du premier -puis du second- plan quadriennal», la «médecine gratuite»…n'étaient-ils que des slogans creux, populistes et démagogiques ?A trois jours du cinquantenaire de l'indépendance, il serait plus qu'opportun de penser à ce continuum de l'histoire immédiate qui chevauche les deux périodes pré et postindépendance. Avec un peu de probité intellectuelle, on s'apercevra alors que le spectre de vision ne peut pas être monochrome. Entre le nihilisme de l'autoflagellation et l'autoglorification des tambours-majors, il devrait nécessairement y avoir place à un regard auquel le recul du temps devrait pouvoir imprimer une certaine sérénité. Pendant ces cinq décennies donc, l'Algérie n'a ni fait tout faux, ni fait tout juste. Une «histoire libérée» (thème de la rencontre organisée par la Tribune depuis hier) est précisément de nature à aller dans cette direction. Mais une « histoire libérée» de quoi et de…qui ? Des thuriféraires qui l'instrumentalisent à des fins personnelles mercantiles et des aigris, d'ici et d'ailleurs, à qui l'indépendance de l'Algérie est restée comme une arête en travers de la gorge. Alors, comme aimait à le répéter le regretté Abdelhamid Mehri, «il faut faire un bilan de cette période». Et ne pas avoir peur du risque de le dresser à la lumière, pas toujours blanche et encore moins éclatante, d'un présent qui, loin d'avoir su capitaliser un héritage en or, l'a au contraire souvent dilapidé, le sacrifiant sans retenue sur l'autel des accommodements sociaux et d'une stabilité davantage synonyme de pérennisation de pouvoir. Sur ce sujet, comme sur d'autres, les historiens ont bien sûr leur mot à dire. Les circonstances semblant propices à une libération de la parole, personnalités historiques restées propres et acteurs politiques crédibles ont là, devant eux, une aubaine inespérée pour faire éclater des vérités ; replacer des faits dans leurs véritables trajectoires. En le faisant, ils n'auront pas seulement fait œuvre utile ou apporté de simples correctifs attendus. La portée de leur geste va bien au-delà, elle peut, même dans la douleur, la déception et la désillusion, faire refleurir les bourgeons du patriotisme, un concept complètement étranger pour une majorité de jeunes et qui fait hérisser le poil de ceux qui le sont moins, en particulier toute une frange d'Algériens entre les deux âges. Parlez-nous de la mort de Abane et du plan quadriennal, beaucoup vous en seront reconnaissants. A. S.