Le chef de la diplomatie française voudrait-il doubler l'Elysée dans la gestion des grands dossiers de politique étrangère, qui se trouvent être aussi parmi les plus brûlants de l'actualité internationale ? Recadré une première fois par le président Hollande sur le dossier malien, Laurent Fabius vient de récidiver, samedi dernier, par une déclaration sur la Syrie pour le moins intempestive et diplomatiquement discutable. Alors que le pays est à feu et à sang, après que l'opposition ait porté la guerre au cœur des villes et réussi à imprimer une accélération aux événements, le patron du Quai d'Orsay a déclaré que la France souhaite «la formation rapide d'un gouvernement provisoire représentatif de la diversité syrienne». Serait-ce un pas dans la voie vers une transition salutaire pour le peuple syrien avec les prémices d' une solution enfin politique qui prévaudrait sur les armes et leurs ravages ? On l'aurait cru si l'appel de M. Fabius s'adressait aux deux parties en conflit, le pouvoir en place à Damas et une opposition politique qui sait jouer sur le tableau militaire. En fait, l'appel ne s'adresse qu'à une seule partie, invitée «à se mettre en ordre de marche pour former rapidement un gouvernement provisoire». Dans sa déclaration écrite, en effet, le ministre des Affaires étrangères ne laisse subsister aucun doute : «Quelles que soient ses manœuvres, le régime de Bachar Al Assad est condamné par son propre peuple, qui fait preuve d'un grand courage. Le moment est venu de préparer la transition et le jour d'après.» Précision de taille, les contacts pris par M. Fabius, dans cette perspective, l'ont été notamment avec le secrétaire général de la Ligue arabe et le Premier ministre du Qatar. Exit donc la Russie, exclu l'Iran que l'émissaire de l'ONU et de la Ligue arabe, pourtant reconnu et accepté par la France, a proposé d'associer à son plan de paix ! Jusqu'à présent, sur ce dossier complexe et dangereux, la France semblait parler d'une seule voix, celle qui affirmait chaque fois -même sous Sarkozy- son respect de la légalité internationale. En d'autres termes, une solution décidée dans le cadre de l'ONU, même si d'autres petites musiques se font entendre, suggérant le recours à d'autres actions qui sortiraient de ce cadre. Comprendre par là l'Otan d'abord, bien évidemment. Quels que soient les poncifs diplomatiques qu'il met, M. Fabius n'arrive pas à masquer son penchant pour une solution guerrière en Syrie. Il faut s'interroger un instant sur les implications régionales et internationales de l'institution d'un gouvernement provisoire par la seule opposition armée. L'ONU n'aurait alors plus qu'à emboucher des trompettes à vide face à une aggravation des clivages sur la question, au sein de la communauté internationale. De quel droit, par la suite, empêcher l'Iran de se jeter franchement, à son tour, dans la bataille en mettant à la disposition du régime de Damas son puissant arsenal militaire ? Allié parmi les plus sûrs des Al Assad, père, fils et régime, le Hezbollah libanais, tout proche, ne restera certainement pas les bras croisés, lui aussi, car si Damas tombe, il se sait la prochaine cible des coalisés arabes et occidentaux. Depuis 2006 et la défaite cinglante qu'il a infligée à la réputée invincible armée israélienne, cet Etat (le Hezbollah) dans l'Etat libanais se prépare à une confrontation régionale inscrite dans le projet du GMO (Grand Moyen-Orient). Sortir de l'ONU pour le règlement du conflit syrien, c'est prendre un risque aux conséquences gravissimes et tragiques. Si la poudrière du Moyen-Orient ne s'est pas allumée depuis la consécration du statu quo de la domination israélienne sur la région, il faut reconnaître que c'est en partie grâce aux efforts de l'instance internationale et de ses forces de maintien de la paix. Et parce que la mèche syrienne était mise sous éteignoir.Dans un tel contexte favorable à toutes les aventures incontrôlées et incontrôlables dans un Moyen-Orient qui est déjà le théâtre d'une troisième guerre mondiale en puissance, il paraît difficile de croire que M. Fabius, en bon diplomate, ait pris toute la mesure de la situation et des conséquences de ses propos. Sinon, il aurait fait preuve de ce sens de la mesure qui distingue le diplomate du boutefeu et le ministre du chef de faction va-t-en-guerre. Mais s'exprimait-il en tant que ministre de la République ou en nouveau Raspoutine de l'Elysée en remplacement de Bernard Henry-Levy ? N'ayant pas eu sa guerre du Mali, il pourra, à force de persévérance, avoir son équipée syrienne et raviver le souvenir et la flamme d'un certain François 1er qui, au XVIe siècle, en accord avec La Sublime Porte, se porta au secours des chrétiens libanais menacés par les musulmans druzes. Ce sera juste une inversion de communautés. A. S.