Le royaume saoudien se rend compte que le petit Etat du Qatar lui dame le pion en occupant la scène internationale et régionale qui était du monopole de Ryad. Depuis la première guerre du Golf, Doha s'est impliqué activement dans les mutations structurelles qui bouleversent le Moyen-Orient. Son alliance stratégique avec Washington et l'Occident, en ont fait une plaque tournante de la diplomatie de la presqu'île arabique. Le rôle joué par le Qatar dans les révoltes arabes a suscité les craintes de l'Arabie saoudite de voir son «dauphin» lui faire ombrage. D'ailleurs, les relations entre les deux pays s'étaient dégradées en raison de la manière dont El Djazira présentait l'Arabie saoudite. La réconciliation entre Doha et Ryad n'est que formelle et la tension entre les deux pays demeure manifeste. Le vent de révolte qui a soufflé sur plusieurs pays arabe n'a pas épargné l'Arabie saoudite dont les populations chiites dans l'est du pays ont sérieusement menacé la stabilité précaire du royaume devenu, tout comme le Qatar, chantre de la démocratie pour le reste du monde arabes et s'interdit tout changement qualitatif du régime et des institutions. Afin de se préserver d'une éventuelle dynamique qui menacerait les fondements du régime wahabite, l'Arabie saoudite tente un retour sur la scène internationale en se faisant le porte-voix de l'Occident au Moyen-Orient et en soutenant activement la politique occidentale dans la région, mais aussi en voulant occuper la scène diplomatique à travers un lifting de fond. Ainsi, Riyad a nommé cette semaine un diplomate de carrière à la tête de ses services de renseignement dans l'espoir de dynamiser sa diplomatie pour jouer un plus grand rôle au Moyen-Orient, une région en pleine mutation, selon des analystes. Le prince Bandar Ben Sultan, 63 ans, ambassadeur saoudien à Washington pendant 22 ans (de 1983 à 2005), a été nommé jeudi dernier par décret royal, chef des services de renseignement. Abdallah Chammari, un expert des relations internationales, estime que «le prince Bandar a la capacité» de «saisir l'occasion qui s'offre au royaume de reprendre sa place» sur l'échiquier régional à la faveur «des mutations géostratégiques que connaît le monde arabe, qui vont conduire à de nouveaux rôles pour l'Arabie saoudite, la Turquie et l'Iran». Selon M. Chammari, l'Arabie saoudite doit «réévaluer les méthodes de travail de sa diplomatie», dont «le rôle s'est éclipsé, au profit de l'Iran et de la Turquie, après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et l'invasion de l'Irak en 2003». «La conjoncture actuelle nécessite une plus grande coordination régionale et internationale», indique Abdel Aziz Ben Saqr, président du Gulf Research Center, en évoquant la frustration de Ryad face au blocage par Moscou et Pékin des efforts internationaux pour un règlement de la crise syrienne. «La situation nécessite un diplomate habitué au jeu des intérêts des puissances internationales», souligne l'analyste. Il rappelle que le prince Bandar «a à son actif plusieurs succès» dont la conclusion avec la Chine en 1987 du premier contrat d'achat de missiles balistiques, et l'influence exercée auprès de la Russie pour la convaincre de ne pas s'opposer aux résolutions de l'Onu visant à bouter les troupes de Saddam Hussein hors du Koweït après l'invasion irakienne en 1990. Le prince Bandar va mettre sa longue expérience de la diplomatie et ses relations au service des renseignements saoudiens, qui pourront devenir ainsi un outil diplomatique. Fort de son expérience, il est «le mieux placé pour comprendre les enjeux diplomatiques et la politique (moyen-orientale) des Etats-Unis», estime Anwar Eshki, président du Centre du Moyen-Orient pour les Etudes stratégiques. M. Eshki, qui a connu de près le prince Bandar pour avoir été l'un de ses collaborateurs à Washington, estime que le nouveau chef du renseignement saoudien «sera en mesure de favoriser une entente entre Américains et Arabes», dont les rapports sont souvent empreints de méfiance. En outre, «le prince Bandar a de bonnes relations avec la Chine où il avait joué un rôle déterminant dans le contrat sur les missiles balistiques, qui a marqué un succès stratégique pour l'Arabie saoudite», a poursuivi M. Eshki. A. G.