Il y a un temps pour tout, dit-on très souvent. Cela s'applique-t-il aux relations américano-saoudiennes dont on relevait depuis des décennies le caractère exemplaire en raison de l'alliance stratégique qui constituait leur fondement ? En tout cas, depuis mercredi, elles semblent plutôt au creux de la vague après les attaques, pour le moins inattendues, du souverain saoudien lancées contre la politique irakienne des Etats-Unis. Cela s'est passé à l'ouverture du sommet arabe devant les caméras du monde entier. D'ailleurs, les Etats-Unis, qui semblaient sur leurs gardes comme l'exige un tel événement, ont réagi avec une célérité remarquée. Pourquoi de telles attaques et maintenant justement ? Mais n'interviennent-elles pas ou plutôt ne donnent-elles pas de la consistance à des hypothèses selon lesquelles rien ne va, ou à tout le moins que cela va mal, avec entretemps, un séjour éphémère du nouvel ambassadeur saoudien aux Etats-Unis ? Il avait demandé son rappel, disait-on à l'époque, pour des raisons de santé. De telles critiques ne devraient donc pas surprendre outre mesure. Mais elles reflètent une évolution profonde des relations entre les deux pays et mettent l'Administration Bush en difficulté au Proche-Orient, selon des analystes. Les propos du roi Abdallah, qui avait dénoncé lors du sommet arabe de Ryad « l'occupation étrangère illégitime » de l'Irak et accusé « des forces étrangères à la région » de vouloir tracer l'avenir du Moyen-Orient, ont été mal accueillis à Washington. La secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, a téléphoné à l'ambassadeur d'Arabie Saoudite à Washington, Adel Al Jubeir, pour obtenir des éclaircissements après ces propos. Mais elle a pris soin de ne pas appeler son homologue, le prince Saoud Al Fayçal, ce qui a été interprété comme un souci de ne pas aggraver la tension. Ce n'est pas la première fois que le royaume saoudien se distancie de la politique américaine en Irak. Fin novembre, un conseiller du royaume avait prévenu que l'Arabie Saoudite interviendrait en Irak pour protéger les sunnites en cas de retrait américain précipité. Selon Joshua Landis, un expert du Center of Peace Studies de l'Université de l'Oklahoma, en qualifiant d'« illégitime » la présence de troupes américaines en Irak, le roi Abdallah s'est posé comme le champion d'un nouveau panarabisme, destiné à contenir la montée de l'influence de l'Iran dans la région. Le roi est déjà parvenu à la conclusion que le plan du président George W. Bush en Irak était voué à l'échec et cherche à éloigner la Syrie de l'Iran pour ramener le régime de Damas dans le giron arabe, explique cet expert. « Le roi Abdallah a annoncé qu'il cherchait à adopter une nouvelle politique irakienne, une politique destinée à une nouvelle phase post-américaine en Irak et une politique qui doit être coordonnée avec la Syrie », ajoute-t-il, rappelant que le souverain saoudien a eu deux entretiens avec le président syrien Bachar Al Assad en marge du sommet de Ryad. Un avis partagé par Juan Cole, de l'Université du Michigan, pour qui le roi Abdallah « pense que Bush mène une politique irrationnelle, dont l'effet est de déstabiliser le Proche-Orient ». En outre, estime cet expert, l'Arabie Saoudite a été vexée par la réaction glaciale des Etats-Unis à l'accord de La Mecque qui a mis fin aux violences interpalestiniennes et abouti à la constitution d'un gouvernement palestinien d'union entre le Fatah et le Hamas. Les Etats-Unis n'ont pas reconnu le gouvernement d'union et exigé le maintien de sanctions internationales qui le frappent depuis un an. Dans une interview à Newsweek, le prince Saoud a confirmé la volonté de l'Arabie Saoudite de redonner une « identité » arabe aux peuples de la région. Les dirigeants saoudiens ont « le sentiment que dans le monde arabe, il se passe des choses comme si aucun peuple de la région n'avait sa propre volonté », a expliqué le chef de la diplomatie saoudienne dans cette interview. Le sommet arabe « est un effort pour prendre des décisions arabes », ajoute le prince Saoud, sans dissimuler son impatience au sujet de la suggestion de Mme Rice d'accélérer la réconciliation entre Arabes et Israéliens. Il est à craindre que les choses aussi bien en Irak qu'en Palestine restent en l'état. Et encore une fois, des occasions ont été gâchées. Ou encore que le monde arabe a épuisé toutes les formules ; et qu'il y a lieu cette fois de prendre acte de tous ces échecs.