La lutte contre les Shebab, islamistes affiliés à Al-Qaïda en Somalie, a franchi cette semaine une étape décisive dans ce pays pauvre de la Corne de l'Afrique, en guerre civile depuis 1990. Les troupes kenyanes, membre de la mission de maintien de la paix de l'Union africaine (Amisom), ont réussi en fait à reprendre le contrôle de la ville portuaire Kismayo, au lendemain d'une offensive d'envergure qui a contraint les Shebab à abandonner leurs positions. Cette ville était depuis des années sous leur contrôle. Son ouverture sur l'Océan indien leur avait permis de fructifier leurs affaires, par delà à financer leurs achats d'armement. Même si la sécurisation de cette ville stratégique va prendre du temps, sa reprise suscite beaucoup d'espoir au sein des Somaliens qui vivent entre la peur de mourir sous la violence ou de faim à cause de la sécheresse qui menace chaque année des millions de personnes. Ainsi, après avoir perdu le contrôle de Mogadiscio qu'ils ont fui en août 2011, les Shebab qui ont fait allégeance à Al-Qaïda ont été contraints de céder ce territoire. Le nouveau président somalien a en fait bon espoir de poursuivre le processus de stabilisation de ce pays de la Corne de l'Afrique. Hassan Cheikh Mohamed qui a échappé à une tentative d'assassinat, dans sa résidence, au lendemain de son investiture le 12 septembre dernier, a beaucoup de travail pour ramener la paix dans son pays. La présence de l'Amisom est là pour l'accompagner dans sa mission mais c'est aux Somaliens eux-mêmes que revient la difficile tâche de remettre leur pays sur les rails.
Réformes politiques Pour mener à bien la mission de stabilisation du pays avant d'endiguer totalement les violences qui l'ont réduite en ruines, le gouvernement de transition somalien a entrepris une série de mesures et de réformes politiques durant ces derniers mois. Parmi ces réformes, l'adoption d'une nouvelle constitution qui demeurera toutefois provisoire jusqu'à son vote par voie référendaire. Aucune date n'a encore était fixée par l'Assemblée constituante somalienne pour l'organisation de ce référendum. L'un des points importants du texte constitutionnel, c'est l'instauration d'une république fédérale avec «des lois compatibles avec la loi islamique». Toutefois, le texte de la constitution provisoire garantit l'égalité des sexes, le pluralisme politique et la liberté de religion, ce qui constitue une réponse claire et qui va à contre-courant de ce que les Shebab veulent imposer comme mode de gouvernance, c'est-à-dire un régime islamiste, radical, inspiré du système rigoriste, wahhabite de l'Arabie saoudite. L'élection de l'Assemblée nationale se déroulera par ailleurs loin du système du suffrage universel. Les futurs députés seront désignés par un collège de chefs coutumiers même si l'on sait que la primauté de l'esprit tribal a été à l'origine de la persistance des violences armées depuis la mort de Siad Barre en 1991. Outre la corruption qui favorise le maintien des Shebab, les rivalités tribales ont ralenti le processus de transition en Somalie. L'élection par les députés du nouveau président, Hassan Cheikh Mohamed, en remplacement de son prédécesseur Cheikh Ahmed Sharif, a été le premier signe d'une nouvelle ère. Car, les frictions qu'il y avait au sein du parlement et du gouvernement de transition somalien n'étaient que le reflet de cette violente guerre tribale entre les chefs de puissantes tribus dont certaines soutenaient secrètement les Shebab pour des raisons qui sont loin d'êtres motivées par des convictions idéologiques.
Briser l'axe Shebab-Aqmi La tentative d'assassinat du président somalien, au lendemain de sa désignation par les députés, dans sa résidence à Mogadiscio, visait donc à empêcher le parachèvement du processus de transition en cours. Les Shebab avaient affirmé en août 2011 que leur retrait de la capitale somalienne entrait dans le cadre de leur changement de stratégie dans la lutte contre ceux qu'ils considéraient comme des agents au service de l'Occident impie. En réalité, les Shebab ne pouvaient plus continuer à rivaliser avec les troupes gouvernementales qui sont appuyées par les soldats de l'Amisom dont la mission première est d'assurer la sécurité des institutions publiques dans la capitale somalienne. Qu'est-ce qui a motivé l'armée kenyane à s'attaquer aux Shebab dans leur bastion, la ville portuaire Kismayo ? L'offensive kenyane, autorisée par le commandement de l'Amisom, constitue une partie de la stratégie du nouveau président somalien. Celui-ci, bénéficiant du soutien de la majorité des chefs tribaux, a les coudées franches pour agir activement sur le terrain des opérations militaires. Il peut même argumenter sa demande d'aide à une communauté internationale qui, jusque-là, a failli à ses engagements envers le gouvernement et le peuple somaliens. Un autre élément conforte cette idée que la lutte contre les Shebab est en train de prendre un nouveau tournant qui mènerait, à court ou à moyen terme, à la stabilisation de la Somalie. Il s'agit en effet du dernier discours du nouveau leader d'Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, qui avait annoncé l'intégration des Shebab dans son réseau terroriste, bien que ces derniers avait fait allégeance à cette nébuleuse islamiste depuis 2007. A noter que le défunt fondateur d'Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, s'est toujours opposé à la fusion de son organisation avec les groupes islamistes opérant en Afrique. Contrairement à Ben Laden, Al-Zawahiri a choisi de s'allier aux groupes islamistes en Afrique pour augmenter sa capacité de nuisance. Avec l'aggravation de la crise malienne et le discours d'Al-Zawahiri, les puissances occidentales ont été contraintes de revoir leur regard sur la crise somalienne. Pour empêcher les terroristes d'Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) de prendre le contrôle total du Mali et de l'ensemble du territoire subsaharien, où des intérêts économiques et géostratégiques sont en jeu, l'Occident - à sa tête les Etats-Unis - réfléchissent à apporter leur aide effective à l'Amisom en Somalie. L'idée de la formation d'une force militaire internationale a fait son chemin en Somalie et en Occident pour empêcher toute fusion entre les Shebab et Aqmi. L'offensive kenyane contre les Shebab à Kismayo répond à cet impératif sécuritaire aux considérations économiques importantes. Il ne sera pas étonnant de voir le champ d'action des Shebab se réduire dans les semaines et mois à venir. Les Shebab contrôlent encore les deux Etats du sud de la Somalie mais l'étau se resserre autour d'eux depuis quelques mois. La perte du contrôle sur Mogadiscio, puis sur Kismayo n'est que le début d'un long processus de stabilisation de la Somalie. Autrement dit, la guerre en Somalie a amorcé un dernier virage après deux décennies qui ont fait plus de deux millions de morts et des centaines de milliers de déplacés, sans compter les dégâts causés dans les pays de la Corne de l'Afrique mais on ignore dans combien d'années la paix totale sera revenue. L. M.