Photo :S. Zoheir Par Samir Azzoug La foule imposante presse le pas pour accéder aux pavillons de la Safex. Déversée essentiellement par les rames du tramway, à un rythme presque régulier, la masse de visiteurs du Salon du livre d'Alger a profité de cette belle journée de samedi, dernier jour de week-end et du 17e Sila, pour explorer l'évènement majeur de la littérature, version 2012, et il est rare ce genre de manifestation. En groupe, en famille, en couple, en «quamis»… ou pas, ces mordus des lettres, de salons ou de déplacements en masse dans un espace réduit –à chacun ses motivations- ont occupé les pavillons de la Safex dédiés aux livres jusqu'à créer des queues devant les portes d'accès. Des queues pour les lettres, quel bonheur !Les plus optimistes des rédacteurs de la presse affirment que le Sila 2012 a drainé plus de 1 350 000 visiteurs durant sa tenue, du 20 au 29 septembre. Ce qui donne une moyenne de 135 000 visiteurs par jour. Soit près de deux fois le nombre de supporters que le stade 5-Juillet - le plus grand du pays avec ses 70 000 places, accueille pendant un match derby. C'est presque un record, toutes disciplines confondues. Mais est-ce pour autant que le Sila 2012 est une réussite ? Tout dépend des objectifs assignés à cet évènement. Le 20 septembre 2012, la ministre de la culture, Khalida Toumi, lors d'une intervention sur les ondes de la Radio nationale, se félicitait que le salon d'Alger soit «plus important que celui de Paris» en termes de fréquentation. «Sans aucune autosatisfaction, on peut dire que de part son nombre de visiteurs, le Sila est le plus grand salon du livre en Afrique, dans le monde arabe et en Méditerranée», déclarait-elle, en rappelant que l'évènement est avant tout un «rendez-vous de professionnels». «Il faut que le Sila devienne un rendez-vous à la fin duquel nous pourrons donner des statistiques sur le nombre de titres algériens dont les droits ont été vendus et ceux des titres étrangers achetés. Il faut qu'on atteigne cet objectif», prônait-elle. Donc, le Sila est un salon professionnel. Seulement, la réalité du terrain sèmerait presque le doute. Malgré la présence de plus de 600 éditeurs d'une quarantaine de pays, malin est celui qui peut trancher sur le caractère de l'évènement : salon, foire ou «souk» du livre ? L'affluence massive des adeptes de la lecture, des curieux ou de simples flâneurs en mal d'espace de loisir, tous des lecteurs potentiels, a mis à mal la quiétude d'un évènement sensé être dédié à l'intellect. On ne choisit pas un livre comme on opte pour un produit artisanal. Face au rush et à des comportements inciviques et irresponsables de certains visiteurs, l'ambiance dans les pavillons ne permettait pas de faire le tri. Seuls les lecteurs qui ont opéré leur choix au préalable avaient la tâche facile dans cet exercice. Il faut dire que nombreux étaient les visiteurs qui attendaient le Sila depuis des mois pour accéder à des ouvrages souvent indisponibles dans un marché atone, fait de quelque 300 éditeurs-diffuseurs et grossistes et une trentaine de librairies dignes de ce nom sur le territoire national. Face à ce flot de fans ou de sympathisants des lettres, -1,3 million, faut-il le rappeler ?- qui ferait le bonheur de tout spécialiste du marketing, les organisateurs aussi bien que les exposants ont failli. La mise en valeur du livre, des auteurs ou de la lecture a terriblement fait défaut. Il y a bien eu des conférences prévues mais très mal organisées ou médiatisées et des séances de dédicaces où les auteurs s'ennuyaient mais point d'espace ou de séance de lecture pour aiguiser l'appétit et faire découvrir les œuvres. La disposition des exposants qui s'est faite selon l'importance des participants et non par thématique ne permettait pas aux visiteurs d'avoir accès facilement au genre de publication souhaité. Ce qui les obligera à faire le tour des stands et pavillons à la recherche du produit prisé. Plus dramatique encore, c'est l'irrespect manifeste de la plupart des éditeurs et «importateurs» au noble produit de la pensée. Rares étaient les exposants à avoir dignement aménagé leurs stands pour mettre en valeur les ouvrages. Tels les vendeurs de rues (qui, eux, ont le bon goût d'avoir opté pour ce commerce beaucoup par amour et sans grands moyens), ces commerçants des belles lettres étalent leurs publications sans aucun effort d'esthétique ni d'ordre défini. C'est ainsi qu'on verra des titres affalés sur des étalages nus, d'autres disposés sur des boîtes en carton ou carrément à même le sol ! Ceci ajouté au manque de motivation des hôtesses et commerciaux qui souvent n'y connaissent rien aux «produits» et ne s'expriment que pour annoncer le prix, avec en prime le défaut d'animation, on peut facilement conclure que le Sila n'est pas une foire réussie. Il n'est pas, non plus, un salon professionnel à juste titre puisque il n'y avait pas de journées dédiées aux rencontres entre professionnels. Celles-ci se faisaient lors des conférences autour de tables-rondes ou dans des cadres informels. Et les résultats de ces échanges devraient être révélés «normalement» par une conférence de presse sanctionnant la manifestation. Le Salon du livre d'Alger 2012, l'évènement qui se veut culturel par essence, n'a marqué l'actualité que par le nombre de visiteurs. Pour un tel évènement, il est désolant que l'activité culturelle soit presque passée sans éclat. Aucun fait croustillant à mettre sous la dent. Aucune polémique, ni débat, ni fait marquant. Un salon presque amorphe, trop neutre. Alors que cette 17e édition s'est tenue sous le thème «le livre vecteur de liberté», les esprits sont restés trop confinés dans la «rectitude prescrite», mais cela est un autre débat. Pour l'heure, on se contentera de chiffres (de visiteurs et de ventes) pour faire valoir les lettres. Classique. Et le ton était donné dès le départ. A son intronisation comme commissaire du Sila 2012, quelques semaines avant l'évènement, le P-dg de l'Enag, Hamoudi Messaoudi, a eu cette espérance formidable : «Je vais essayer de garder le même élan et rythme que les autres commissaires…».