«Quatre billets s'il vous plaît. Combien je vous dois ?» «120 dinars. 50 dinars pour un adulte et 20 dina pour la petite, le petit ne paye pas, il est trop jeune. Les billets sont valables pour les deux musées, des arts antiques et des arts islamiques qui est juste en face», nous répond aimablement la dame assise à la caisse. «C'est tout !?», nous exclamons-nous. La femme sourit : «Avec ces prix là, nous avons déjà des gens qui rechignent. On a même vu des personnes qui nous ont répondu : ‘‘Quoi, il faut que je paye pour visiter ? J'habite Alger !''. Pour eux, l'accès au musée ne devrait être payant que pour les visiteurs étrangers.» Cela se passait il y a moins d'un an. Ça sera le même topo lors de nos passages à différentes périodes aux Musées de la Poupée, au parc Beyrouth, des Beaux-Arts, à Belouizdad, des Arts traditionnels, à la Casbah, de l'art contemporain, rue Larbi Ben M'Hidi, ou au Bardot, avant sa fermeture pour restauration. Fermeture qui est passée quasi inaperçue, et pour cause ! Le point commun entre ces musées, hormis la modicité du prix de la visite et leur localisation (ils sont tous situés à Alger, la capitale du pays), est leur vacuité. C'est même un plaisir de s'y rendre. Quel que soit le jour ou l'heure, on ne risque pas de trouver foule. On ne fait pas la queue pour accéder au musée à Alger, encore moins dans les autres villes du pays. Il nous est même arrivé de chercher le caissier ou le gardien qui, las de rester seul avec ces «vieilleries» qu'il voit tous les jours, s'en est allé prendre un bol d'air ou un café à côté. Autre habitude : une fois le billet d'entrée réglé, on est libre de commencer la visite où on veut. Car, il n'y a pas de guide pour vous orienter et vous informer. Il arrive qu'on tombe sur un attaché de conservation du musée qui se propose de vous faire faire, gracieusement, la visite guidée, juste parce qu'il aime parler de ce qu'il fait, ce qu'il sait et le communiquer à autrui, mais point de guide qualifié. Evidemment, les responsables savent tout ça et sont au courant de la situation déplorable que vit l'institution muséale. Aussi, était-il attendu qu'ils réagissent en conséquence, d'autant plus que la ministre a, elle-même, caressé un certain temps l'idée de défendre la gratuité de l'accès aux musées, même si elle serait conjoncturelle (mois du patrimoine, printemps des musées, festival ou salon dont la thématique se rapporte à la spécialité d'un musée…). Au final, en lieu et place, nous avons le contraire : l'entrée est passée à 200 dinars, et 300 dinars pour les musées labellisés. On ne peut qualifier cette mesure de conséquente ni de productive. Comment peut-on instituer de fait, bureaucratiquement, la labellisation d'institutions muséales quand des responsables qui y travaillent, interrogés, reconnaissent ne pas savoir ce qu'est un musée labellisé ? Comment peut-on penser augmenter les prix d'une visite quand il n'y a même pas de visiteurs, ou si peu et si rarement ? Connaissant la situation des musées - on n'oserait croire qu'ils sont complètement déconnectés de la réalité- les responsables, avant de décider ces augmentations, auraient dû commencer par donner aux responsables des musées les moyens de constituer un public d'abord. Une attachée de conservation nous a affirmé qu'elle avait, de son propre chef (car ça ne fait pas partie de ses attributions), pris attache avec des écoles pour qu'elles organisent des visites ou des séances pour une présentation de la valise muséale, car le musée a déjà adopté la politique de l'activité extra-muros et se propose de sortir visiter les écoles et autres institutions qui l'inviteraient. Elle citera de mémoire les écoles qui ont répondu et qu'on peut compter sur les doigts d'une main amputée de deux doigts. C'est là qu'était attendu l'intervention de l'Etat : réintroduire les sorties pédagogiques dans le programme éducatif. On devrait également doter les musées de cadres qualifiés et spécialisés dans le marketing et la promotion de l'image qui feraient connaître l'institution aussi bien à l'échelle nationale qu'internationale, et de budgets conséquents pour l'acquisition ou le prêt de pièces, l'organisation d'exposition, la constitution de la valise muséale… Il restera ensuite au ministère du Tourisme à faire son travail : attirer les touristes, locaux et étrangers, qui feraient s'allonger les files devant les guichets de nos musées. Ce n'est qu'une fois tous ces paramètres garantis que l'augmentation des prix pourrait se justifier. Sinon, on n'aura fait que rejouer une autre partie de «Qui perd gagne». Sauf que si on sait ce qu'on aura perdu (une occasion de permettre à la culture de conquérir un peu plus d'espace), on attend toujours que ceux qui ont décidé d'éloigner un peu plus les musées de l'hypothétique visiteur, nous disent ce qu'ont gagné la culture, la société et le pays dans cette partie. H. G.