De notre envoyé spécial à Washington Moumene Belghoul Arrivée à l'aéroport Washington-Dulles. Après des formalités moins strictes que l'on s'y attendait, le «pafiste» lance un convenable «Welcome to America». Suffisant pour se rendre compte qu'on visite un pays pas comme les autres. Il fait nuit. Dans le bus qui nous emmène vers le centre-ville, nous admirons les monuments illuminés donnant à la ville une solennité sans commune mesure. L'obélisque baptisé Washington Memorial est imposant. La beauté nocturne de la ville nous fait presque oublier l'événement qui captive le monde entier. Les Américains sont appelés à élire leur Président. L'homme le plus puissant de la planète. Première remarque : il n'y a aucune affiche à l'effigie des deux candidats annonçant le scrutin. Il faut se retourner vers les medias, audiovisuels ou écrits, pour sentir la température ou, enfin, discuter avec les gens pour déceler l'effervescence qui s'est emparé des Américains. Au moindre contact, le sujet est inévitable. Mardi 4 novembre, jour du scrutin. Dès les premières heures de la journée, nous faisons le tour de quelques bureaux de vote à Washington DC et en Virginie, Etat enveloppant le sud du district of Columbia. Atmosphère d'un grand jour aux Etats-Unis d'Amérique. «J'ai voté Barack Obama non pas à cause de la couleur de sa peau mais parce que je le sens capable ; il représente le véritable avenir de l'Amérique», nous répond tout sourire Jason. «Qu'on dise qu'il n'a pas l'expérience ne compte pas, ça viendra après... Vous savez, les Américains ne vous donnent pas leur argent et le pouvoir s'ils ne vous savent pas capable de diriger.» Paroles de Umana, un taximan d'origine nigériane qui vit aux Etats-Unis depuis 1980. Il venait d'accomplir son acte citoyen. Flora, elle, est une métisse américaine ; elle avoue qu'elle a donné sa voix à Obama car il est plus crédible et «que le pays a besoin de changement». Changement ! «Change», le mot est sur toutes les lèvres. McCain semble mal parti dans cette ville aux deux tiers d'Afro-Américains. En fait, Washington a toujours vibré démocrate. De plus, les effets du 11 septembre semblent s'estomper et le quotidien des Américains se durcit. Notre tour dans les Polls, les bureaux de vote nous confirme que les démocrates ont le vent en poupe. Rares seront les «votants» qui avoueront leur préférence pour le candidat républicain. A l'image de Saly, enseignante, qui estime qu'il faut «un homme d'expérience à l'image de McCain à la tête des USA». Au bureau de vote du Metropolitan AME Church sis à 1518, M Street, une longue file s'est formée. La Maison-Blanche, objet de ces longs mois de campagne éreintante, n'est pas très loin. Le district of Columbia malgré ses 3 petits grands électeurs reste une étape importante sur le plan de la symbolique. C'est ici que se trouve le cœur du pouvoir. A Washington, on pense déjà à l'Inauguration Day (l'investiture) qui doit avoir lieu le 20 janvier 2009. DC, entre Virginie et Maryland Nous traversons le fleuve Potomac par le pont Roosevelt (Roosevelt Bridge). Nous sommes en Virginie, un Etat voisin de la capitale fédérale, Washington DC. La Virginie est un Etat clé, c'est-à-dire qu'il fait partie des fameux «swing state». Car, tout comme le Colorado, la Floride, le Nevada, le New Hampshire, l'Ohio, la Virginie, avec ses 13 grands électeurs, a beaucoup joué dans ce scrutin. On nous fera savoir que cet Etat n'a pas voté pour un démocrate depuis 1964. Mais un petit tour nous convaincra que ce State n'est pas si tangent que cela. En tout cas, au bureau de vote du 414 North Filmon d'Arlington, par exemple, les gens sont alignés devant une école maternelle pour voter ; à première vue, tout se passe normalement. La responsable du bureau après quelques explications nous donna le feu vert pour y entrer «tout juste pour voir, mais pas de photos !» insista-t-elle. On nous signale qu'en février 2008, Barack Obama avait remporté les primaires du Potomac, à savoir à Washington, au Maryland et en Virginie contre sa rivale d'alors, Hillary. C'est ici à Arlington, au cimetière des héros, que repose John Fitzgerald Kennedy. Le mythique président, assassiné au sommet de sa carrière, aurait sans doute aimé que ce soit son fils spirituel, Barack Obama, qui l'emporte. Arlington est un district situé en Virginie, sur la rive du Potomac opposée à Washington, DC. Ce comté des États-Unis d'Amérique était à l'origine une partie de la capitale fédérale, mais il fut rétrocédé, en 1847, par le Congrès à l'État de Virginie. Il compte environ 200 000 habitants. La zone est importante. C'est à Arlington qu'est implanté le Pentagone, siège du ministère de la Défense américain, le siège du Drug Enforcement Administration, service américain de lutte contre le narcotrafic, et celui du Space and Missile Defense Command de l'United States Army. Arlington abrite également le cimetière militaire national, où sont enterrés des morts de toutes les guerres auxquelles ont participé les Etats-Unis. Depuis la guerre d'indépendance et jusqu'à la désastreuse guerre en Irak. C'est aussi dans ce cimetière que sont inhumés, en plus de John F. Kennedy, sa femme Jackie et son frère Robert. La nuit où l'Amérique a titillé l'histoire Dès 18 heures, pleine d'expectative, la foule s'est rassemblée dans un bar de U Street. En 1968, cette rue était le centre noir de «Chocolate City» (le surnom de Washington, à l'époque). Des écrans géants permettent de suivre en direct sur CNN les résultats de l'élection. Chaque Etat gagné envoie comme un choc électrique : cris de joie, drapeaux agités en tous sens. A vingt-trois heures, le verdict tombe. Barack Obama est élu nouveau président des Etats-Unis. Un immense rugissement accueille la nouvelle. C'est la délivrance. En pleurs, des personnes âgées n'en croient pas leurs yeux. «Ça ne va pas être facile», explique un jeune Noir. Toutes les races, tous les âges sont représentés. Les yeux brillent, les sourires sont larges et les accolades s'échangent à profusion. C'est le délire. Les yeux scrutent les écrans. A Chicago, sous les hourras de la foule qui scande son nom, Barack Obama, accompagné de sa femme et de ses filles, est apparu sur le podium, un sourire retenu sur les lèvres, agitant le bras pour saluer à son tour le public. «Si quelqu'un doute encore que l'Amérique soit le lieu de tous les possibles, s'il s'interroge sur la viabilité des rêves des fondateurs à l'aune de notre temps, s'il questionne le pouvoir de notre démocratie, ce soir est la réponse », a affirmé le président élu. Visiblement ému et conscient de l'importance du moment, il a prononcé un discours à l'image d'une Amérique plus unie et plus respectée dans le monde. A chaque phrase, la foule répond en cœur : «Yes, we can !» Certains sont en larmes, mais la plupart sont juste heureux et très fiers. Ils sont les témoins d'un moment d'histoire, où la barrière raciale est tombée au plus haut niveau de l'Etat. «Voilà le vrai génie de l'Amérique : elle peut changer. Notre union peut être plus parfaite. Ce que nous avons réussi jusqu'à présent nous donne de l'espoir pour ce que nous devons réaliser demain», termine Barack Obama. Devant la Maison-Blanche, Pennsylvania Avenue se remplit de monde, affluant de toutes parts. Les cris résonnent dans la capitale : «Yes, we did !» A Florida avenue, c'est le délire. C'est «Independence Day !» On se surprend à scander «Obama ! Obama !» avec une foule exaltée. Les expressions de joie se poursuivront jusqu'au petit matin. Lendemain de victoire de Barack Obama. Il est impossible de mettre la main sur le Washington Post et les autres titres nationaux étaient difficiles à trouver. Dès le petit jour, les kiosquiers, comme les distributeurs automatiques de journaux, ont été dévalisés. A midi, les gens faisaient la queue pour se procurer les nouvelles éditions spéciales des quotidiens, directement à la sortie des camions de livraison. Le siège du Washington Post sis 15th Street est pris d'assaut. La ville venait de vivre une soirée historique avec l'élection du sénateur noir de l'Illinois à la présidence des Etats-Unis. Tard, mardi dans la nuit, les klaxons sont assourdissants sur Rhodes Island, la principale artère de Washington dans le centre-ville. Les passants s'interpellaient en criant le nom d'Obama, beaucoup portant un T-shirt ou des badges à son effigie. A «Dupont Circle», quartier animé de la ville, nous n'avions pas besoin de demander l'avis de Jason, un jeune Noir de Washington, en compagnie de deux de ses amis. «Je me sens soulagé. On voulait tellement y croire, mais il y avait toujours cette incertitude à cause de la question de la race» Washington, ville de charme et de contrastes La folle nuit américaine nous a fait oublier que nous nous trouvions à Washington. En plus d'être la capitale, c'est l'une des plus belles cités des Etats-Unis, de l'avis des autochtones. Véritable ville musée, la capitale américaine impose l'admiration à chaque coin de rue. Construite en 1783, à la fin de la guerre d'Indépendance, la ville de Washington est «le fruit d'une volonté de construire une capitale fédérale qui soit neutre, ne favorisant ni son propre Etat ni sa région». Son emplacement n'est pas anodin. La capitale est construite à un endroit central dans le pays, à cheval sur deux Etats. Un Etat du Nord et un Etat du Sud. Le Maryland et la Virginie se virent ainsi amputer de 260 km⊃2; au profit d'une nouvelle entité nommée District de Columbia (DC). Pour ne pas confondre avec l'Etat de Washington situé dans le nord-ouest du pays, les Américains appellent la capitale «Washington DC» ou tout simplement DC ! Créée pour accueillir le gouvernement et les institutions fédérales des Etats-Unis, Washington fut conçue minutieusement pour lui donner une certaine grandeur, notamment en termes d'architecture et d'urbanisme. George Washington confia alors l'élaboration des plans de la ville à Pierre l'Enfant, un ingénieur d'origine française, qui aurait combattu à ses côtés. Ce dernier s'inspira alors des plans de certaines villes européennes pour donner à la nouvelle capitale un certain éclat. Ce qui confère un cachet particulier à la ville. Aujourd'hui encore, Washington est une ville agréable à vivre et à visiter et les plans originaux de Pierre l'Enfant sont toujours en vigueur. Les avenues sont larges et bordées d'arbres, les monuments et édifices administratifs sont grandioses, les bâtiments sont bien espacés. Et pour ne pas rompre cette harmonie, les gratte-ciel sont interdits. A Washington aucun bâtiment ne doit, en effet, être plus haut que le Capitole. Enfin, Washington est aussi une ville culturelle par excellence. Elle comprend de nombreux musées, célèbres dans le monde pour leur qualité. La richesse des collections est saluée par tous et ces différentes attractions drainent chaque année plusieurs millions de touristes. White House, le centre du monde La Maison-Blanche est l'attraction par excellence. A l'extérieur de la résidence officielle du président des Etats-Unis, les ouvriers s'activent déjà en vue de la grande parade. Washington, la ville au cœur blanc et aux artères noires». Au fond, la capitale administrative de l'Amérique n'a jamais cessé d'être un symbole. Celui du pouvoir blanc, là-haut sur Capitol Hill, et celui de la souffrance noire, de la discrimination, là-bas, au-delà de ce rectangle où sont concentrés les bâtiments du pouvoir fédéral. Demain, sur le perron de la Maison-Blanche, Barack Obama devrait pouvoir apercevoir le mémorial de Lincoln où, le 28 août 1963, le révérend Martin Luther King délivra au monde son célèbre message : «I have a dream», avant de mourir assassiné en 1968. Washington est une ville très cosmopolite. La question la plus usitée ici est : «Where do you come from ?» (D'où venez-vous ?). On rencontre des gens venus de tous les pays du monde. Chacun ayant une histoire à raconter. Quid des Algériens dans cette ville aux multiples facettes. Notre communauté, pas très nombreuse au demeurant, voulait aussi le changement. Ils sont résolument pour Barack Obama mais «sans se faire beaucoup d'illusions quant à la politique internationale de l'Amérique», nous répond Mohamed Al Gahch, député algérien pour l'Amérique, l'Asie et l'Océanie, rencontré en Virginie. Le représentant du peuple, au physique plutôt yankee, nous apprendra qu'il y a un phénomène nouveau qui touche nos compatriotes. Celui du programme de la loterie qu'organise le département d'Etat chaque année. Le quota des Algériens a été semble-t-il augmenté. Près de 2 000 d'entre eux affluent chaque année au Etats-Unis par l'intermédiaire de cette méthode, nous confirme-t-on au niveau de notre ambassade, dans la capitale américaine. Mais notre communauté est loin de peser, faute d'organisation efficiente, malgré l'existence de l'Association des Algériens en Amérique, nous dira, amer, Dey Djouini, Algérien, installé aux States depuis 16 ans. Avec l'arrivée du nouvel ambassadeur, Mohamed Baali, la situation pourrait changer. Le diplomate, dont le passage aux Nations unies a été fort remarqué, est décidé à faire changer les choses. Nous quittons Washington, des couleurs plein la tête. Dans l'avion, de retour à Alger via Londres, nous songeons longuement à la question du préposé à la PAF, nous sachant journaliste algérien. Une question à laquelle nous n'avions guère de réponse ; «Obama aura-t-il les coudées franches pour insuffler un véritable changement à la politique américaine dans le monde ?» Vaste programme !