Aujourd'hui pourrait être un grand jour. Le jour J. Ça pourrait être le Jour 1 de l'an I de l'indépendance du pouvoir judiciaire algérien. Le deuxième passage de l'affaire Khalifa Bank devant la justice est l'occasion à ne pas rater pour traduire dans les faits tous ces discours qui clament l'émancipation des juges de toutes pressions et/ou injonctions. Car, jusqu'à aujourd'hui, l'image qui nous est renvoyée par notre justice, est celle d'une institution livrée pieds et poings liés au bon vouloir des puissants qu'elle n'inquiète aucunement quand bien même le nom d'un des leurs ferait la Une de toute la presse et serait cité au cœur d'une grosse affaire de corruption, détournement, abus de pouvoir ou malversations. Tout le monde pourrait en parler en long, en large et en travers, mais notre justice, elle, reste sourde, muette et aveugle. Pas aveugle comme l'édicte son principe originel qui lui commande d'être impartiale et d'abattre son glaive sur le coupable, sans distinction de race, de religion ou de statut, mais aveugle quand il s'agit de voir le crime et celui qui l'a commis ou s'en est fait complice. Ces dérives de la justice ne sont pas un délire de journalistes ni une vue de l'esprit, mais une réalité que même le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (Cncppdh), Me Farouk Ksentini, qui est trop consensuel pour être accusé de parti pris, a dénoncé. Les affaires de corruption qui ont défrayé la chronique ces derniers temps, feront dire à Me Ksentini que la justice algérienne est de «mauvaise qualité». «La justice algérienne est libre, si nous nous référons aux textes de loi», mais en pratique, les jugements «ne sont pas toujours rendus par des magistrats courageux n'obéissant qu'à la loi et à leur conscience», avait déploré Me Ksentini, qui qualifiera certains magistrats de «carriéristes et frileux». Mais qui terrorise les magistrats soucieux de faire leur travail consciencieusement et fait miroiter de belles carrières à ceux malléables, pour ne pas dire corruptibles ? Qui est à l'autre bout de la ligne quand le téléphone du magistrat sonne ? Qui veut avoir une justice aux ordres ? Ce sont les réponses à ces questions qui révéleront les noms et les fonctions des coupables auxquels la justice doit ses entraves et ses errances. Cette volonté de phagocyter le pouvoir judicaire pour l'assujettir à d'autres pouvoirs est allée jusqu'à tenter de contenir les droits de la défense dans certains articles du premier projet de statut de l'avocat. «On a voulu soumettre l'avocat à l'autorité du magistrat lors des audiences», avait dénoncé Me Ksentini. «Au niveau du ministère de la Justice, des magistrats ne s'accommodaient pas vraiment avec la profession d'avocat et veulent ainsi la juguler, restreindre ses prérogatives et la diminuer», déplorera-t-il. Et c'est dans cet état d'esprit et ces conditions que ce procès-test va se tenir. D'où le scepticisme ambiant quant à son issue, scepticisme justement conforté par la passivité de la justice qui n'a rien fait pour être à la hauteur des attentes de la société et des citoyens. Le premier procès de Khalifa bank, en mars 2007, avait été annoncé comme le procès du siècle pour la plus grosse affaire de corruption du siècle. Il s'est terminé en eau de boudin, avec la condamnation de seconds couteaux, des lampistes. Pas un seul haut responsable n'a été inquiété. De 2007 à 2013, d'autres affaires de corruption ont été révélées (Sonatrach 1 et 2, autoroute Est-Ouest) avec des noms de ministres et de hauts fonctionnaires. La justice s'en mêlera mais rien n'en sort. Enquêtes et instructions sont, certes, soumises au secret. Mais le secret dure tant qu'on finit par croire qu'il a ramassé un «Top» en cours de route. Comment peut-on accorder crédit à une justice qui a tant à se reprocher ? Comment peut-on faire confiance à une justice qui se fait voler ses dossiers dans un tribunal au cœur de la capitale ? C'est dans ce décor de vaudeville qu'elle a planté, qu'elle rejugera l'affaire Khalifa bank. Et c'est le premier tableau qui déterminera la qualité de la prestation. Car, on saura si la justice ira jusqu'au bout de son action ou s'arrêtera au milieu du gué. Et le bout de l'action n'est pas ce procès qui ne concerne que la caisse principale de Khalifa bank, mais englobe tout l'empire Khalifa dont l'affaire des Swift. C'est le prix que la justice devra payer pour retrouver sa considération aux yeux des citoyens. En fait, ce n'est pas payer que de faire triompher la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ! H. G.