L'ancien Premier ministre, Nawaz Sharif, a remporté les législatives du 11 mai signant un retour triomphal. Les menaces d'attaques des Talibans n'ont pas finalement découragé les Pakistanais à se rendre aux urnes pour ces élections, qui ont vu une forte participation s'approchant des 60%. La presse pakistanaise a d'ailleurs salué le triomphe de la démocratie face aux menaces. Le jour du scrutin, une dizaine d'attentats avaient fait 26 morts, portant à plus de 150 le nombre de personnes tuées dans des violences liées aux législatives. Ce scrutin restera donc historique car il permet à un gouvernement civil de passer la main à un autre après avoir achevé un mandat complet de cinq ans. Une première dans ce pays à l'histoire marquée par des coups d'Etat militaires successifs. Sharif va succéder au grand perdant du scrutin, le Parti du Peuple Pakistanais (PPP) du président Asif Ali Zardari, ruiné par son mauvais bilan sécuritaire et économique pendant ses cinq ans à la tête du pays. Sharif aura triomphé grâce à une solide base électorale dans sa province du Pendjab, la plus peuplée du pays. Son parti n'a toutefois pas obtenu la majorité absolue à l'Assemblée nationale, et aura besoin de former une coalition pour pouvoir gouverner. Nawaz Sharif est un revenant dans la vie politique pakistanaise. En 1990 il est nommé Premier ministre, après le départ de Benazir Bhutto. Son gouvernement est destitué en 1993 en raison d'accusations de corruption. Il reprendra le pouvoir en 1996, bénéficiant une nouvelle fois de l'échec du gouvernement Bhutto. C'est sous sa gouvernance que le pays devient une puissance nucléaire, en 1998. Il entame des processus de privatisation, mais il est de nouveau acculé par les accusations de favoriser ses amis industriels. Il fuit le Pakistan en 1999, à la suite du coup de force perpétré par Pervez Musharraf et se réfugie en Arabie saoudite. Il ne rentrera au pays qu'en 2007 pour participer aux élections législatives. Aujourd'hui les défis qui l'attendent sont à l'image de la complexité du Pakistan, pays de 180 millions d'habitants. Il devra redresser l'économie enchevêtrée notamment, par la situation énergétique du pays. Au niveau financier, les observateurs estiment que le Pakistan sera obligé de demander sous peu un nouveau prêt au Fonds monétaire international (FMI). Ce qui ne va pas arranger la situation. Le Pakistan doit déjà rembourser de manière imminente un reliquat de prêt de 4,6 milliards de dollars. Cette contrainte financière pèsera sur d'autres chapitres de sa politique, en particulier l'avenir de l'engagement pakistanais contre le terrorisme djihadiste et le rôle que le Pakistan s'apprête à jouer sur le théâtre afghan, notamment après le retrait des troupes de l'Otan en 2014. La question sécuritaire est également brûlante. Le Pakistan reste un pays très violent. Tous les jours, entre 10 et 20 personnes trouvent la mort de façon violente dans les grandes villes du pays. Plus de 200 Chiites ont perdu la vie au cours des deux premiers mois de cette année dans des attentats. Le péril le plus crucial auquel Sharif va devoir faire face est celui des talibans du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP). C'est un mouvement islamiste radical, historiquement basé dans les zones pachtounes frontalières de l'Afghanistan. Le mouvement est de plus en plus influent à Karachi, capitale économique. Bien que Sharif défend l'idée d'un dialogue avec les Talibans, le scepticisme reste de mise sur ses chances de réussite, les précédentes tentatives de dialogue ayant toujours achoppé sur les revendications des Talibans. Autre élément d'importance : l'armée. Colonne vertébrale du pouvoir au Pakistan, cette dernière voit le retour de Sharif au gouvernement avec une certaine suspicion. Les relations entre Sharif et «l'establishment» (comme on appelle au Pakistan le complexe militaire et ses services secrets, les fameux ISI) sont plutôt tendues. La percée de la «troisième force» aux législatives, menée par Imran Khan (soutenu en sous-main par les militaires), et qui devrait diriger l'opposition, constitue de ce fait un levier d'influence à l'armée pour contenir les velléités émancipatrices du nouveau-ancien Premier ministre. Les relations entre Sharif et les militaires restent néanmoins ambiguës. Sharif avait bien soutenu les offensives de l'armée contre les insurgés islamistes en 2009 dans la vallée du Swat et le district tribal du Waziristân du Sud, près de la frontière afghane. Cependant l'histoire retiendra qu'après avoir été accompagné par l'armée à la fin des années 1980 dans le but de contrecarrer le Parti du peuple pakistanais du clan Bhutto, Sharif avait tenté de s'affranchir des ses parrains une fois au pouvoir. Sa relation avec les Etats-Unis sera également particulièrement scrutée. Sharif, devrait être un allié «pragmatique» de Washington pour qui le Pakistan reste un Etat important dans la région. Pendant la campagne électorale, Sharif avait critiqué les tirs de drones américains contre les Talibans, pakistanais et afghans, et d'autres groupes liés à Al-Qaïda, pullulant dans les zones tribales du nord-ouest du pays. Dans un pays difficilement gouvernable comme le Pakistan le nouveau Premier ministre, à l'expérience établie, entend bien monnayer ses alliances. M. B.