Ce dimanche sera indéniablement le jour le plus long dans l'histoire de la Tunisie post-Ben Ali. Un parti islamiste radical, Ansar Al Chariaa, maintient la date initiale de la tenue de son congrès prévu aujourd'hui, 19 mai, à Kairouan. Une manifestation interdite par le gouvernement mais les salafistes ne démordent pas. Ansar Al Chariaa qui, ne reconnaissent ni l'Etat tunisien ni ses institutions, refusent de reporter la date de leur manifestation affirmant que leur autorisation était «divine» et se passerait de celle du gouvernement. Le chef d'Ansar Al Chariaa, Abou Ayad, de son vrai nom Sayfeallah Ben Hassine, entré en clandestinité depuis l'attaque contre l'ambassade américaine à Tunis le 14 septembre dernier, ne mâche pas ses mots. Il a affirmé que les jeunes de son organisation, au nombre de 40 000 selon ses dires toujours, «sont prêts à se sacrifier pour leur religion dans la terre de Kairouan». Quand au porte-parole de l'organisation Seif-Eddine Raïs, nul besoin d'une «autorisation du gouvernement pour prêcher la parole de Dieu et nous le mettons en garde contre toute intervention de la police pour empêcher la tenue du congrès». Usant d'un langage radical que les Algériens ne connaissent que trop bien, le porte-parole d'Ansar Al Chariaa appelle ses partisans à ne «pas céder aux tawaghit (les tyrans) au pouvoir et à leurs lois civiles» et à se réunir pour la tenue d'un congrès «autorisé par Allah». Tous les ingrédients sont réunis pour une confrontation hasardeuse. Et pour que la mayonnaise prenne bien, il manquait le tour des chouyoukh salafistes. Dénonçant une crise factice pour déstabiliser le pays, ils affirment que le déploiement policier à Kairouan et les déclarations du ministre tunisien de l'Intérieur confirment que «certaines parties veulent aller à la confrontation avec une large catégorie de la jeunesse du pays en obéissant à des pressions extérieures visant à semer l'anarchie dans le pays et à frapper le réveil (sahwa) islamique par des mains tunisiennes». L'autre parti salafiste, Hizb Al Tahrir, a pour sa part dénoncé la décision gouvernementale, mais a appelé néanmoins Ansar Al Chariaa à éviter la confrontation. «Nous disons à Ansar Al Chariaa que nous considérons comme prioritaire et sage d'annoncer le report du congrès en en faisant porter la responsabilité entière au pouvoir», relève ce parti dans un communiqué. Autrement, «dimanche sera un jour de confrontation sanglante», prédit ce mouvement. Côté gouvernement, les autorités publiques n'ont aucune autre option que de maintenir l'interdit. Le refus des autorités tunisiennes s'est réaffirmé vendredi. Le ministère de l'Intérieur a estimé dans un communiqué que «tout rassemblement non autorisé constitue une transgression à la loi, tout comme il représente une violation criante des institutions de l'Etat et une menace pour la stabilité et l'ordre public». Un important dispositif de sécurité a été déployé, vendredi et hier à Kairouan mais aussi dans la capitale tunisienne, Tunis. La ville de Kairouan, selon des témoins oculaires, était totalement bouclée. Les policiers filtraient tous les véhicules rentrants ou sortants de la ville. Un dispositif qui affirme que le ministre de l'Intérieur, Lotfi Benjeddou, a tenu parole. Son département, avait annoncé la veille, qu'il allait prendre toutes les mesures «à même de préserver l'autorité de l'Etat» et déployer des dispositifs sécuritaires sur tout le territoire tunisien pour faire face aux «menaces de Ansar Al Chariaa». Cette fermeté gouvernementale affichée trouve un soutien politique indéfectible chez le président du parti au pouvoir Rached Ghannouchi. Ce dernier a affirmé que les «autorités doivent appliquer la loi sans distinction, nous soutenons la fermeté du gouvernement à faire appliquer la loi pour tous». Le temps de la «pédagogie» avec ces illuminés radicaux semble révolu. Le torchon a vraisemblablement brûlé entre le gouvernement dirigé par le mouvement Ennahda et le courant salafiste. Longtemps considérées par les opposants tunisiens comme indulgentes envers les radicaux, les autorités tunisiennes ont visiblement changé de stratégie envers ce courant extrémiste. L'attaque de l'ambassade américaine, l'assassinat de l'activiste de gauche Chokri Belaïd et les affrontements des monts Chambi ont fini par avoir raison de la patience voire du laxisme d'Ennahda. La fermeté est de mise. Il y va de l'avenir de la Tunisie. G. H.