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L'investissement et l'aide étrangers vers l'Afrique sapés par la fuite illicite de capitaux
Un rapport du GFI le démontre
Publié dans La Tribune le 02 - 06 - 2013

Un rapport de la Banque africaine de développement et du Global Financial Integrity, a calculé la différence entre les entrées et les sorties de capitaux, licites comme illicites, issus du continent africain. L'Afrique serait «en situation de créancier». Une étude qui tombe à point nommé, alors que les Etats occidentaux s'activent contre l'évasion fiscale. La Banque africaine de développement (BAD) et l'ONG Global Financial Integrity (GFI) ont publié, mercredi 29 mai, un rapport sur les transferts de ressources vers et hors d'Afrique, entre 1980 et 2009.
Sur ces trente dernières années, les flux financiers illicites, issus d'activités délictueuses ou non-déclarées, ont atteint au moins 1 200 milliards de dollars. Un chiffre toutefois sous-estimé, précisent la BAD et cette organisation de lutte contre la délinquance financière dans les pays en développement. Les capitaux fuient principalement de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale. Notamment du Nigéria, de l'Egypte et de l'Afrique du Sud.
Cette masse d'argent illicite transforme l'Afrique en «créditeur» : «Le continent a été un net pourvoyeur de ressources au monde avec une valeur estimée (…) entre 597 et 1 400 milliards de dollars», selon les auteurs du rapport.
Et même en excluant les fuites illicites de capitaux des comptes, l'Afrique aurait davantage tendance à donner plus qu'à recevoir. Car les transferts enregistrés nets, présumés licites, en faveur de l'Afrique ont chuté, depuis les années 1980 et 1990, d'une moyenne annuelle de 27 milliards de dollars à 8,7 milliards de dollars pendant la décennie 2000. Un résultat qui reste positif, mais qui doit être nuancé : il résulte principalement des transferts financiers de la diaspora, annulations de dettes et déductions fiscales relativisent les auteurs du rapport.
Face à cette situation, le rapport présente une série de recommandations. La Banque des règlements internationaux (BRI) pourrait récolter «les données détaillées sur les dépôts par secteur, leur maturité, ainsi que le pays d'origine des déposants», issues des établissements financiers offshore.
Afin d'éviter la captation des profits en provenance de l'exploitation des ressources naturelles, des structures «de bonne gouvernance» seraient nécessaires.
Au contraire, dans les pays pauvres en ressources, la priorité est de lutter contre les pratiques de fausses facturations qui alimentent le blanchiment d'argent et l'évasion fiscale. Une autorité nationale de régulation et de gestion des approvisionnements publics devrait contrôler les contrats de marchés publics, selon les auteurs. Les récentes conclusions du Conseil européen sur la lutte contre la fraude fiscale devraient être étendues aux pays en développement, relève Global Financial Integrity dans un communiqué.
L'aide au développement se tarit En effet, les pays riches ont versé des milliards de dollars dans des projets de développement en Afrique. Mais la crise mondiale et la croissance du continent les conduisent désormais à fermer le robinet.
En 2012, les pays membres de l'Ocde ont réduit l'aide à l'Afrique sub-saharienne de 10 %, la plus forte baisse en seize ans. L'Espagne a même divisé son budget par deux. Quelque 26 milliards de dollars sont encore partis vers le Sud, mais le message est clair : l'aide au développement n'a plus la cote. Les mesures d'austérité sont largement la cause de ces coupes budgétaires, mais pas seulement : de
nombreux pays d'Afrique peuvent désormais voler de leurs propres ailes.
Le Fonds monétaire international prévoit que l'économie de l'Afrique subsaharienne croîtra encore de 5,4 % en 2013. De quoi faire rêver l'Occident ! Ainsi, lorsque les pays donateurs ont récemment gelé des aides représentant 11 % du budget du Rwanda, le pays a réussi à lever 3,5 milliards de dollars en lançant des obligations. Et le Royaume-Uni vient de confirmer la tendance, en annonçant la fin de son aide directe à l'Afrique du Sud. Une décision qui n'aurait pas non plus été prise sans de profonds doutes sur l'efficacité de l'aide et l'importance des sommes qui pourraient être détournées. «Pourquoi voudriez-vous mettre de l'argent là où il y a de la corruption ?», s'interroge Winnie Byanyima, directrice générale de l'organisation caritative Oxfam. Le message de Londres est, surtout, que la plus puissante économie africaine est assez riche pour se passer d'aide.
L'argent des pays riches a, néanmoins, contribué à des améliorations spectaculaires de la santé, comme la réduction de moitié de la mortalité maternelle et infantile en Afrique. Et de nombreuses ONG -souvent financées par les gouvernements occidentaux- notent qu'il faut mieux cibler. L'attention des ONG se porte depuis déjà quelques années sur le développement des compétences et le financement
d'organisations locales bénéficiant du soutien de la population. Oxfam encourage même les pays les plus pauvres à «planifier leur façon de sortir de l'aide» par une meilleure utilisation de leurs propres ressources. «La tendance est aussi que les pays en développement devraient diriger les investissements privés et les investissements directs étrangers vers le processus de développement», souligne la directrice d'Oxfam. Paul Collier, le directeur du centre de l'Université d'Oxford pour l'étude des économies africaines, est d'accord, et ne peut s'empêcher de lancer une pique :
«De nouvelles approches sont nécessaires. Malheureusement, nous savons le mieux apporter de l'aide aux pays où elle n'est plus nécessaire.» Car, nuance ce chercheur, «les Etats fragiles et les petites économies isolées continueront à avoir besoin de financement public pendant des décennies, sous peine de tragédies humanitaires».

Les marchés financiers, alternative possible à l'aide au développement
Selon la Banque africaine de développement, les fonds de pension et les sociétés d'assurance sont en mesure de financer des projets d'infrastructures hors de portée pour les banques locales en raison de leur coût.
Cette «fuite» de capitaux pourrait remettre en cause toutes les démarches concernant les aides au développement dans leurs structures actuelles. En effet, et lors d'un colloque organisé par l'association Epargne sans frontières, le 16 avril passé, le ministre français délégué au Développement, Pascal Canfin, a reconnu l'utilité de l'innovation financière hors d'Europe. Elle serait susceptible d'attirer des investissements et de créer davantage d'activité économique. Une vision confirmée par un rapport de la Banque africaine de développement (BAD), rendu public vendredi 19 avril.Le document souligne le rôle potentiel des marchés financiers en Afrique subsaharienne, notamment pour les projets d'infrastructures routières, énergétiques ou de communication. Selon les estimations de la BAD, 68 milliards de dollars seront nécessaires d'ici 2020 pour couvrir les seuls projets à dimension régionale qu'elle considère comme prioritaires. Mais l'aide internationale provenant des agences de développement ou des grands bailleurs de fonds ne comble pas ces besoins. Le secteur privé délaisse, lui, les infrastructures pour les placements dans les industries extractives, note la BAD.
Des «sources domestiques» pourraient cependant prendre le relais, à condition de développer les marchés financiers locaux.
Les obligations dites «d'infrastructures» pourraient trouver preneur parmi des fonds de pension ou des sociétés d'assurances présentes au niveau local. Emises par un gouvernement ou par une entreprise privée, elles peuvent intéresser ces investisseurs qui recherchent des «project bonds» stables et rentables à long terme. De manière générale, les émissions de dette des pays africains rencontrent de plus en plus de succès sur les marchés financiers grâce, notamment, aux taux de croissance élevés des Etats, souligne la BAD. Cependant, cette montée en valeur est freinée par un environnement institutionnel et monétaire parfois peu incitatif. Les raisons qui empêchent le développement du secteur financier sont nombreuses : devises locales instables, inflation, opacité des procédures des
marchés publics, auxquelles il convient d'ajouter maintenant les transferts illicites, la corruption et les détournements de fonds.

A. E.


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