La mondialisation est un concept à double face. Faire du monde un «petit village» n'a finalement pas que des avantages. A trop s'ouvrir les uns aux autres, on finit par créer une interdépendance, salutaire quand les conjonctures sont bonnes, mais désastreuses, en particulier pour les plus faibles, dans les situations de crise. A ces moments-là, le «chacun pour soi» prime sur l'esprit de partage. Ce constat est dûment établi actuellement avec la crise financière et économique mondiale, unique en son genre et la plus sévère depuis celle de 1929. Au départ, la fragilité du système financier mondial : une simple rumeur lancée par des spéculateurs sur Internet le 29 novembre 2007 a failli faire brutalement chuter le cours de Bourse de l'entreprise d'informatique ADS). Un défaut qui a permis à quelques grands noms de la finance de faire «la pluie et le beau temps» sur l'économie mondiale. Certains experts imputent les causes de la crise actuelle aux «trop grandes prises de risques, sans véritable contrôle, des grands noms de la finance mondiale». La Bourse ressemble donc à un jeu pour initiés dont les répercussions sont bien réelles. On se rend compte finalement que spéculer peut tuer. A coups de centaines, de milliers et de milliards de dollars, les Etats et blocs politiques tentent de rattraper le retard. 200 milliards d'euros pour relancer l'activité économique dans les pays de l'Union européenne, 700 milliards de dollars pour sauver les banques et 800 autres pour soutenir les crédits à la consommation et le marché immobilier aux Etats-Unis. Des sommes pharamineuses, à la limite de l'indécence, virtuelles mais mobilisables. Tout l'opposé de celles nécessaires pour atténuer la misère dans le monde, qui, elle, est réelle, accentuée par l'ampleur de la crise. Un enfant meurt de faim toutes les 5 secondes dans le monde. Quelque 800 millions de personnes en souffrent. 86 pays n'arrivent pas à nourrir leurs populations dont la moitié en Afrique. Pourtant, de l'aveu du secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-moon, les sommes nécessaires pour l'aide au développement des pays pauvres sont «modiques» au regard des celles débloquées pour affronter la crise financière. En 2000, les Etats membre de l'ONU se sont assigné un objectif humanitaire appelé «Objectif du millénaire» (OMD). Ce dernier a pour but de réduire la pauvreté dans le monde de moitié à l'horizon 2015 par rapport aux années 1990. Qu'en est-il aujourd'hui ? L'ONU avait convenu d'un apport annuel d'aide additionnelle de 50 milliards de dollars pour la période 2004-2010, mais les pays développés ne se sont engagés que pour 20 milliards de dollars. Le PAM (programme alimentaire mondiale), l'organisme chargé de la lutte contre la faim dans le monde, qui a besoin de 4,3 milliards de dollars pour nourrir 110 millions de personnes, a toutes les peines du monde à rassembler cette somme ; il lui manque 600 millions de dollars. L'appel humanitaire de 2008 a mobilisé 289 millions de dollars, soit 63% de la somme requise. Pour l'année prochaine, l'appel global de l'ONU représente 7 milliards de dollars en faveur de 30 millions de personnes dans 31 pays. La directrice exécutive du PAM reconnaissait dernièrement que son institution n'a pas les moyens de répondre à l'ampleur de la crise alimentaire. «Le PAM secourt aujourd'hui environ 90 millions de personnes, soit 10% des 923 millions de gens qui sont en danger de mort pour cause de famine». Les appels se multiplient donc pour soutenir les pays pauvres, les promesses suivent, mais les contributions se font rares. Lors des journées du développement organisées le 17 de ce mois, en France, le président du Burkina Faso, Blaise Comparé, faisait ce reproche : «Lors du sommet de la FAO tenu à Rome au printemps dernier nous avons mobilisé 12 milliards de dollars de promesses, mais, aujourd'hui, un milliard est réellement mis en place». Une défection qui risque de s'accentuer avec la crise actuelle. Robert Zoellick, président de la Banque mondiale, a estimé, de son côté, qu'il allait être «difficile» d'atteindre les Objectifs du millénaire avec la crise, ajoutant que l'envolée des prix des produits alimentaires a fait plus de 100 millions de pauvres. La situation est donc complexe. Les différents responsables, particulièrement ceux des pays touchés par la famine et la misère, attendaient avec impatience la réunion du G20 qui s'est tenue cette semaine à Doha, espérant des décisions concrètes et salutaires pour leurs populations. Mais, la défection de plusieurs grands responsables dans le monde en a déçu plus d'un. Malgré les assurances du président français, qui assure la présidence de l'UE, que l'Europe des 27 respectera sa promesse de consacrer au soutien des pays pauvres 0,7% de son PIB en 2015, il y a comme un goût d'amertume. On se rappelle que la lutte a été dure pour faire accepter à l'Union européenne un accord pour débloquer sur trois ans une aide d'un milliard d'euros promise en juillet aux agriculteurs des pays pauvres. Les pays du Golfe ont également manifesté leur mécontentement face aux sollicitations de plus en plus importantes pour financer les institutions internationales. Le ministre saoudien des finances, Ibrahim Al Assaf, a implicitement rejeté, la semaine dernière, les appels en Occident à des contributions exceptionnelles des monarchies pétrolières du Golfe au FMI. «S'il y a besoin d'augmenter le financement des institutions [financières internationales], l'Arabie saoudite -et vraisemblablement les autres monarchies du Golfe- y contribueront au même titre que les Etats membres de ces institutions, et non de façon exceptionnelle», avait-il déclaré. Lors de la conférence de Doha, Ban Ki-moon, secrétaire général de l'ONU, a exhorté les pays donateurs à respecter les engagements et ne pas prendre la crise financière comme excuse pour ne pas les honorer. Pour l'heure, il faut savoir que, durant le temps nécessaire à la lecture de cet article, au moins 4 enfants meurent de faim dans le monde. S. A.