Le capitalisme dit «de coopération» vient à la fois projeter la discussion dans le XXIe siècle, celui des réseaux sociaux, de la communication, des datas et de l'innovation, et renouveler l'intérêt fondateur du compromis social. Les critiques contre l'ultralibéralisme ont été vives toutes ces dernières années. La gauche de la gauche n'a jamais rendu les armes contre «l'exploitation renforcée du travail par le capital» depuis les élections de Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Le succès populaire de livres comme L'horreur économique de Viviane Forester jusqu'au Indignez-vous de Stéphane Hessel, a montré les échos favorables de ces critiques dans les opinions publiques. Le hic de cette pensée, c'est qu'elle dénonce des duretés réelles mais n'offre pas de solution. Le retour au communisme est une issue que plus personne n'ose promouvoir, sauf quelques rares olibrius nostalgiques du Che. Dès lors, le capitalisme est le seul avenir. Mais quel capitalisme ? Entre le modèle suédois et le russe, entre le laisser-faire et le keynésianisme, les marges sont considérables, immenses. Retrouvant les très anciens clivages, le débat s'est porté là, sur le placement du curseur entre dynamisme et protection, entre adaptation et résistance, entre l'économie et le social. Il a pris plusieurs visages: le capitalisme tempéré d'un Rocard, «la troisième voie» d'un Blair, le socialisme étatique d'un Jospin, la social-démocratie timide d'un Hollande. Les discussions ne cessent pas entre les uns et les autres. Les positions évoluent d'ailleurs avec le temps et les circonstances. La crise de la finance de 2008 a violemment déplacé ledit curseur vers la gauche : les tenants d'un «compromis du travail avec le capital» ont perdu des points face à ceux qui réclamaient des armes, réglementaires et fiscales, plus lourdes, voire radicales. Un nouvel entrant va-t-il rafraîchir ce débat séculaire ? Le capitalisme dit «de coopération» vient à la fois projeter la discussion dans le XXIe siècle, celui des réseaux sociaux, de la communication, des datas et de l'innovation, et renouveler l'intérêt fondateur du compromis social. Keynes offrait une issue médiane positive entre le capital et le travail : les ouvriers bien payés achètent des voitures, la croissance s'en trouve stabilisée et la paix sociale assurée. Tout le monde y gagne. De même, si la «coopération» peut aujourd'hui offrir une meilleure productivité que la pure compétition, chacun y trouvera son compte à nouveau, la production sera plus forte, la satisfaction au travail aussi. Tel était le thème d'un des débats lors des Rencontres d'Aix-en-Provence (5 au 7 juillet 2013) qu'organisait, comme tous les ans, Le Cercle des Economistes, et qu'animait Yann Algan, professeur à Sciences-Po Paris. Le capitalisme de coopération est encore un concept en construction. Il est, d'une part, celui qui rompt avec le système hiérarchique «top-down» et qui redonne aux salariés de tous les niveaux une latitude (une obligation ?) d'être participant et inventif pour améliorer son propre travail. Plutôt que d'obéir à des ordres, de remplir une tâche, le salarié coopératif voit s'ouvrir sa liberté de manœuvre. Sa motivation s'élargit, comme la mise en commun des idées. Le deuxième volet du capitalisme coopératif est lié à l'économie d'Internet et à son extension toujours plus grande. Le principe est celui du logiciel libre ou du Wiki : la mise en commun des informations pour que se construisent sur cette base le plus d'«applications» possibles. Plus on est de fous, plus on rit, voilà le truc des réseaux sociaux. La mise en commun donne libre court à l'échange et à l'invention de services nouveaux qui se greffent sur les anciens. Le tout grossit, attire de plus en plus d'utilisateurs, etc. Si les contours concrets du nouveau capitalisme sont encore en expérimentation, la nécessité d'aller dans ce sens est évidente pour beaucoup. Le capitalisme compétitif a montré qu'il était «à bout de souffle», explique Yann Algan : les rendements s'épuisent (les gains de productivité) et la course au profit a poussé à l'avidité et à l'excès, dont les dégâts moraux sur l'adhérence sociale au système sont très importants. En outre, beaucoup d'économistes travaillent sur le paradoxe de voir les richesses s'accumuler mais le «bonheur» des populations, tel que mesuré par les sondages, stagner. Le capitalisme de compétition fait l'argent, mais pas le bonheur. Yochai Benkler, professeur à Harvard, ajoute que le monde est entré dans une phase d'incertitude et de changement permanent. Les institutions (les entreprises) qui répondront le mieux à cet environnement nouveau seront celles qui sauront redonner de la liberté d'invention à leurs membres. Il pousse le raisonnement et affirme que cette liberté et l'esprit coopératif redonneront goût au travail. La seule rémunération pécuniaire ne suffit plus, les entreprises doivent offrir «une motivation humaine».Yann Algan ouvrait encore plus le champ de la réflexion en concluant que «le marché libre ne libère pas les gens». Il voit une cassure du libéralisme en deux : la liberté économique d'un côté, la liberté politique de l'autre. Tocqueville doit se retourner dans sa tombe. «Il n'existe pas de solution miracle» pour réconcilier l'économique et le social, «mais des solutions émergent», dit-il. Ce qui passe par des remises en cause fondamentales aussi bien du droit de propriété -on le voit avec le piratage- que des formes de la démocratie. E. L-B. In slate.fr