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L'homme, ce prédateur, et le responsable, cet indifférent
Protection et préservation des infrastructures et sites culturels
Publié dans La Tribune le 04 - 12 - 2008


Photo : A.Lemili
De notre correspondant à Constantine
A. Lemili
La pire atteinte, en plus des vol, dégradation, détournement ou attaque, dont pourraient faire l'objet les sites et infrastructures culturels demeure l'indifférence de ceux qui sont chargés de leur gestion et protection.
Le talon d'Achille étant à l'évidence l'absence d'une quelconque inclination à la préservation des vestiges anciens, existant depuis des millénaires, ou des structures nouvellement créées, lesquelles ont, en général, coûté une fortune au Trésor public, pour les dernières citées, et tellement d'histoire, de passions et de drames aux premiers.
La fonctionnarisation des responsables d'organes de gestion de sites et infrastructures fait qu'ils se départent avec une formidable rapidité de leur statut d'hommes de culture, artistes à la sensibilité à fleur de peau, dès qu'il s'agit d'art, pour revêtir celui d'obscurs gestionnaires administratifs qui passeront leurs journées à se plaindre des doléances de leurs anciens compagnons d'infortune (d'une culture malmenée évidemment), voire à évacuer du revers de la main toutes leurs préoccupations (qui étaient aussi les leurs il
n'y a pas si longtemps) au motif que…C'est l'un des essentiels et importants griefs qui pourrait être retenu contre les responsables de l'art et de la culture à Constantine, comme partout en Algérie d'ailleurs…
Des responsables calfeutrés dans leurs bureaux, glosant de tout à longueur de journée, sauf de la vocation de l'organe qu'ils administrent ou, sinon, à tirer des plans sur la comète et des projets pharaoniques qu'ils réaliseraient s'ils disposaient «d'une marge de manœuvre appréciable».
En attendant, à titre de premier exemple, le Musée Cirta continuera de trôner, à l'image de l'Acropole, sur une esplanade que d'aucuns auraient juré qu'elle a été conçue seulement à cet effet, depuis la nuit des temps. Ses seuls visiteurs étant forcément et par nostalgie de rares délégations françaises, dont les membres qui les composent seraient sorties, dirait-on, tout droit d'un service de gériatrie, ou encore d'écoliers, qui s'y rendent contre leur volonté, alors qu'ils auraient été tellement heureux devant une console de jeux. Ce qui n'est pas un tort, compte tenu de la nécessité équivoque de les y conduire, sachant qu'il n'est même pas possible de leur fournir des explications concernant les monuments ou vestiges qu'ils ont contemplés, dès lors qu'une fois de retour en classe, ils n'auront rien appris d'utile… les guides étant rarement, sinon pas du tout formés pour la circonstance.
L'autre handicap de la ville concerne ses salles de cinéma, au nombre de six. Elles gardent dramatiquement porte close. Pis, des velléités de modification de statut planent sur elles et pourraient être transformées en salles des fêtes du seul fait d'élus qui estiment que le seul moyen de les rentabiliser serait d'opter pour cette activité.
Un rappel à l'ordre énergique par qui de droit s'impose, comme devrait s'imposer une mobilisation du microcosme constantinois. Pour quelle raison s'étonner d'une telle attitude, sachant que le ministère de la Culture est le premier à indiquer la voie à suivre. Dans l'indifférence ambiante, la salle de répertoire de la cinémathèque An Nasr est fermée depuis cinq ans pour des raisons incohérentes que la direction de la culture impute à l'absence d'une cabine de projection et que les services de la Protection civile expliquent par la
non-conformité des installations.
L'absence de cabine de projection est néanmoins fondée et les raisons, à ce titre, relèvent du burlesque. La cabine initiale ayant été transférée à Alger, celle de remplacement n'étant pas conforme parce que prélevée d'un ciné-mobile et, par voie de conséquence, totalement inadaptée à la salle. Une salle qui a été réaménagée pour près de deux milliards et demi de centimes, mais, dont, malheureusement, les travaux doivent être repris à nouveau, parce que non conformes eux aussi.
Pour l'anecdote, la ministre de la Culture, Mme Khalida Toumi, en visite de travail à Constantine, il y a trois ans, avait promis la réouverture de la cinémathèque dans «les trois semaines qui suivront» son séjour de trois jours dans la ville des Ponts, allant jusqu'à révéler l'identité de son nouveau directeur. Le wali, quoique, sur le plan de la prise en charge, il ait totalement été disqualifié par la
ministre, lui emboîtera le pas en invitant élus et cadres de l'exécutif à une séance de cinéma pour un certain lundi. En fait, tous vaguaient et divaguaient dans un monde parallèle sur lequel, raisonnablement, seuls les Constantinois avaient une idée précise.
Dans un autre registre, au cours de randonnées pédestres, des citoyens tombent souvent sur des objets qu'ils ne s'expliquent pas autrement que par une origine historique lointaine. Pour certains, un réflexe citoyen fait qu'ils s'adressent aux services du musée pour faire état de leur découverte, se délestant souvent légitimement et obligatoirement de l'objet trouvé ou encore en indiquant le lieu où ils auraient noté la présence d'une structure, d'une forme d'architecture ou d'objets hétéroclites difficiles à déplacer.
Un réflexe citoyen rarement payé en retour
Excepté le semblant d'intérêt que leur témoignent leurs interlocuteurs, il a rarement été réservé des suites à l'événement. Il nous est personnellement arrivé de découvrir, à l'endroit signalé par un citoyen, des vestiges remontant à des temps lointains et appartenant à l'une des civilisations qui a marqué par sa présence la région, des vestiges, lesquels, malheureusement, n'ont pas été récupérés des semaines, voire des mois après, jusqu'à leur dégradation par l'homme, sinon leur récupération… comme cette colonne, probablement d'origine romaine, utilisée comme support dans un atelier de mécanique proche de l'endroit. Assez récemment, un artiste, connu
sur la place de Constantine, s'indignait sur le fait qu'à l'intérieur même du musée Cirta, des ouvriers «s'échinaient à gratter des parois murales sur lesquelles étaient peintes des fresques se rapportant aux événements ayant précédé la disparition de Pompeï». Il y a lieu de souligner que ces ouvriers ignoraient ce qu'il y avait sous la couche de peinture qui recouvrait lesdites fresques. Celles-ci avaient été mutilées au cours des années soixante-dix par un directeur, plus responsable politique qu'artiste, qui avait ordonné le badigeonnage des murs au motif de représentations obscènes (poitrines nues de femmes romaines). Selon l'artiste, indigné du reste, il existerait aujourd'hui «des techniques à même de réparer de tels dégâts». Autrement dit, pour notre interlocuteur, que nous avons accompagné sur les lieux, il y avait possibilité d'enlever ladite couche de peinture et de sauver l'immense fresque. Pour la directrice par intérim «les artisans ont suspendu les travaux dès qu'ils furent informés de ce qu'il y avait derrière la couche de peinture». Les murs sont donc restés en l'état… avec un chef-d'œuvre, datant du début du siècle, caché à jamais.
La maison de la culture Mohamed Laïd El Khalifa, ou ce qui semble en subsister, sert à abriter du froid et de la chaleur un groupe d'agents administratifs, un directeur et une seule activité culturelle, si l'on peut la considérer comme telle, une structure qui réussit la gageure de faire reculer la culture, avec un grand C, au Moyen Âge.
Sinon, depuis bien longtemps, elle n'accueille plus d'activités culturelles, pour la simple raison qu'elle tombe en ruine, dont la moitié des 700 sièges est en piteux état, un plafond qui s'effondre, un réseau électrique qui présente le plus grand danger et susceptible de court-circuit à n'importe quel moment. D'où l'annulation de nombreux spectacles. Réduite à une situation peu glorieuse, sans commune mesure, elle est le parfait exemple de l'inertie des responsables en charge de la culture et, partant, de leur hiérarchie et parfois dans la dichotomie des deux, telle la longue réhabilitation de la bibliothèque, dont la wilaya a jugé plus opportun d'en avoir la charge, uniquement dans le but de ne pas la laisser sous l'autorité du ministère de la Culture, avec lequel le premier responsable de l'administration locale est en conflit (le désamour A. Boudiaf-Khalida Toumi est de notoriété publique d'est en ouest et du nord au sud du pays). Il s'agit sans doute d'une bonne résolution du wali, lorsque l'on voit dans quel état se trouve la salle de répertoire de la cinémathèque An Nasr depuis que le département de Mme Toumi a décidé de prendre en charge sa réhabilitation.
Il en est de même pour le palais de la culture Malek Haddad, qui n'abrite -pour des raisons de préservation d'une structure réhabilitée, après un dramatique incendie survenu en 2006 et cela quatre mois après une autre réhabilitation qui aura également coûté 20 millions de dinars- que des colloques de médecins, de pharmaciens et autres vétérinaires parce que de telles prestations assurent un cash-flow qui permet à l'administration de faire face à des dépenses ponctuelles difficiles à honorer, en raison des procédures imposées par le Trésor public. Le hall de l'édifice sert toutefois à entretenir l'illusion d'une activité culturelle dans le cadre des échanges inter-wilayas (actuellement Tlemcen).
La liste des sites livrés à eux-mêmes est encore longue, ceux dont la mise au jour s'est faite grâce au concours de la nature, à l'image des glissements de terrain, fréquents à Constantine, ou encore suite à des travaux d'utilité publique et/ou des aménagements de propriétaires privés sur des terrains leur appartenant (Sidi Djeliss). Comme est malheureusement longue la liste des sites (les mêmes) que la nature a récupérés ou engloutis parce qu'ils n'ont jamais été pris en charge.
L'association des amis du musée : des «Indiana Jones» dépités
Dans une supplique datée du 8 janvier 2007, l'Association des amis du musée national Cirta lançait un SOS pour la préservation des sites historico-culturels. Ses membres, considérant que lesdits sites étaient en grand danger, il était impératif, en premier lieu, de «recenser, inspecter, nettoyer et déblayer les lieux».
Le rapport indiquait l'urgence à l'endroit de la source de Sidi Mimoun, le monument antique du grand marché, la grotte du sous-sol de l'hôtel de Paris, les vestiges antiques se trouvant au souterrain du marché, les bains romains, les inscriptions épigraphiques de la Casbah, le jardin épigraphique, le village de Salah Bey (Ghorab), la maison de Salah Bey, les grottes préhistoriques et, enfin, la vieille ville. Ledit rapport concluait sur l'aspect non exhaustif de la liste des sites évoqués, rappelant qu'il s'agissait essentiellement de sauver ce qui pouvait encore l'être.


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