Photo: A.Lemili De notre correspondant à Constantine A. Lemili De quoi tomber à la renverse à l'écoute des propos que nous a tenus dimanche dernier M. Mustapha Nettour, directeur de wilaya de la culture. Notre interlocuteur considère, non sans une forme de sincérité, que «Constantine souffre d'un manque cruel d'infrastructures culturelles» (sic !) Par comparaison à cette profession, nous résumons, toutefois, l'état des lieux : cinq salles de cinéma, avec une précision de taille… toutes fermées pour des raisons que nous expliquerons. Un théâtre régional, qui fonctionne heureusement et même un peu trop, compte tenu de l'appréciation faite par M. Nettour : «En 2007, le TRC a accueilli plus d'une centaine d'évènements culturels, tous genres confondus.» Difficile d'évaluer, on sait qu'une année administrative compte 300 jours et éventuellement autant de soirées, étant donné le seul espace fonctionnel à même de proposer des solutions, une centaine d'activités demeure en réalité…peu. Constantine, chef-lieu de commune s'entend, dispose aussi d'une maison et d'un palais de culture aux salles non négligeables au plan de la contenance : plus de 700 chacune, quoiqu'une partie des espaces du palais ait été rognée au profit d'un agrandissement de la scène. Ce qui en vérité ne change pas grand-chose par rapport au nombre et à la nature des activités qu'il (le palais) accueille. Autrement dit, pas assez d'activités culturelles proprement dites et, a contrario, beaucoup d'autres plus rentables, comme la location aux organismes représentant les activités libérales ou les différents ordres les encadrant (pharmaciens, médecins, avocats, architectes, etc.), lesquels paient rubis sur l'ongle et au prix fort. La culture avec un petit «c» peut toujours attendre. Le théâtre de verdure réalisé depuis une année, comme sa vocation semble l'indiquer, ne peut fonctionner qu'au cours d'une saison, voire deux. Il reste aussi les moyens d'y créer une animation régulière, ce qui n'est pas aisé, et les solutions jusque-là proposées par les organisateurs, du moins pour la saison écoulée, sont loin d'être idoines. «Claquer» des sommes pharamineuses pour des stars en déclin est une insulte à la rigueur de gestion comme elle l'est à l'endroit d'une population ou d'un public qui mériterait quand même mieux. Pour le directeur de la culture, il se trouve également les différents ateliers. Ils présentent l'avantage d'entretenir l'illusion, de meubler les statistiques et les rapports d'activités de fin de mois. C'est d'ailleurs une manière comme une autre pour notre interlocuteur de rebondir. «Il ne faut surtout pas oublier que les ateliers, peinture, musique [s] et arts plastiques, fonctionnent quotidiennement.» Mais pour ce que ça donne par la suite en évènements pour la consommation du public… difficile de quantifier. En réalité, ce tableau peu idyllique de la situation n'ébranle pas le directeur de la culture, qui croit dur comme fer, sans doute légitimement, que tout va bien dans le meilleur des mondes, d'autant plus que le représentant de l'exécutif se repose sur trois «méga» [manifestations, lesquels justifient, c'est selon, l'injustifiable, en l'occurrence le festival du malouf, le Festival national de la poésie au féminin et, enfin, le Festival international du jazz dont la dimension dépasse effectivement le cadre d'organisation proposé. Réalisation imminente d'un opéra Eurêka ! La solution était là à portée de main. Création d'un opéra. «Constantine a impérativement besoin d'un opéra… tout comme le Caire», soulignera M. Nettour, et l'idée n'en est plus une, puisqu'elle a été retenue par les instances concernées dont le ministère des Finances auprès duquel les promoteurs ont apporté l'argumentaire qu'il faut via l'arbitrage exigé dans un pareil cas de figure. «Entre 1 200 places et 2 500 sièges, nous prospectons toutes les pistes possibles pour faire de cet opéra, le premier à être réalisé en Algérie et le deuxième en Afrique après celui du Caire… un joyau. Il ne pourra se situer qu'en milieu urbain pour être accessible à tous. Nous croyons sincèrement que l'espace existe, et il n'est pas exclu qu'il soit réalisé là où se trouvait naguère le Colisée, compte tenu de la proximité qu'il aura avec la chaîne d'hôtels Ibis, la station de départ du tramway, le téléphérique, le centre d'affaires international prévu sur l'actuel site du quartier de Bardo. Tout cela dans le cadre du plan de modernisation de la ville. L'opéra ne sera, par conséquent, qu'un aboutissement logique de l'entrée de la cité dans la modernité.» Evaluation du projet : 150 milliards «convertis, sous d'autres cieux le cachet annuel d'un footballeur ou d'une rock-star», précisera le directeur de la culture. Un montant qu'il faudra nécessairement doubler «si la capacité passe à 2 500 places». A quoi servira un opéra à Constantine ? La réponse ne peut que laisser, en premier le quidam, place à une foultitude de questions. Quant à l'utilisation un tant soit peu rationnel de ce qui existe déjà, notre interlocuteur n'a pas d'argument valable, notamment en ce qui concerne la salle de répertoire de la cinémathèque qui «a obtenu une enveloppe financière pour sa réhabilitation». Est-il besoin de ressasser, et la Tribune s'en est fait l'écho, que ladite salle a été réhabilitée entre 2002 et 2004 et est restée fermée jusqu'à ce jour pour l'incroyable motif que la Protection civile a refusé de délivrer le certificat de conformité, en raison de la facticité des matériaux installés (capitonnage, revêtement, sièges), de même que la pose par les services du ministère de la Culture d'une cabine de projection obsolète, alors que celle initialement installée a été déplacée par les services de la Cinémathèque algérienne. Coût global de l'opération : environ 3 milliards de centimes. Partis en fumée et pour lesquels nul n'aura de compte à rendre. Aussi bien les responsables à tous les niveaux que l'entrepreneur qui aura gagné, comme qui dirait, au bandit manchot. La salle de la maison de la culture Med Laïd Khalifa tombe littéralement en ruine et ne peut accueillir aucune activité depuis près de deux années. Celle du palais de la Culture, réhabilitée en mai 2006, n'aura accueilli que la version de Dimajazz pour être l'objet d'un incendie inexpliqué qui a eu lieu dans des conditions rocambolesques la nuit du 26 août. Deux milliards de centimes ont été déboursés pour sa réhabilitation… pour une semaine d'utilisation. Et les salles de cinéma ? «Moi, je suis encore nouveau à ce poste, et je ne connais pas bien le dossier. Toutefois, je vais vous orienter sur un responsable administratif qui connaît bien la maison, puisqu'il a été proche directement ou indirectement des salles de spectacles depuis une vingtaine d'années.» M. Gharoucha Hocine, vice-président chargé des affaires culturelles et sportives nouvellement élu, ne semble pas s'être imprégné jusque-là de ce volet précis, même s'il estime nécessaire de souligner que cela ne l'a pas empêché d'évoquer «la question des salles de cinéma dont toute la ville parle» à ses pairs, notamment au maire. D'où le choix de mettre à l'ordre du jour de la prochaine session «ce point important qui a besoin de l'avis de tout le monde pour être mis définitivement à plat. Nous avons, malgré tout, quelque peu avancé par évocation, et je ne vous cacherai pas que des propositions sont faites, comme celle consistant, à titre d'exemple, à transformer les salles de cinéma en salles des fêtes. Néanmoins, il s'est trouvé des élus qui étaient contre l'idée, parce qu'il y aurait quelque part un dévoiement dans la vocation». Pis, un tel choix va à l'encontre même du cahier des charges, qui fait obligation à tout exploitant public ou privé de n'utiliser les lieux et les installations que pour la projection de films. Heureusement, cette proposition, qui aurait pu être avalisée en ce sens par ceux qui l'ont suggérée, a été déconseillée aux membres de l'assemblée par M. Zehara S., ce responsable que nous devions rencontrer sur orientation de M. Gharoucha. M. Zehara a tenu mordicus à préciser à notre intention que, «quoi qu'il arrive, les salles de spectacles seront utilisées selon leur vocation, à savoir celle d'accueillir des projections cinématographiques prioritairement. Cela n'exclut pas, cependant, leur utilisation pour d'autres genres de spectacles. Nous prévoyons pour ce faire d'en agrandir les scènes». Quant à leur statut actuel, le même responsable nous dira : «Au moment même où je vous entretiens, les travaux d'étanchéité des salles Versailles et Olympia seront réceptionnées. Elles ont été laissées dans un état lamentable par les exploitants privés auxquels elles ont été cédées au début de l'an 2000. Le Royal que nous venons de récupérer après une longue procédure judiciaire est relativement en bon état et n'exige pas un réel investissement ou une restauration.» S'agissant du cinéma ABC, la salle qui était déjà au centre d'un contentieux inextricable depuis plus d'une dizaine d'années avec un exploitant privé décédé et qui en a bénéficié de l'exploitation dans des conditions douteuses, est repartie pour une autre procédure, qui a tout lieu d'indiquer qu'elle va durer autant, si ce n'est plus dans la mesure où les poursuites engagées contre son exploitant s'éteignent avec sa disparition. Pour le vice-président chargé de la culture,«l'Assemblée communale est dans l'attente de connaître l'identité de ses vis-à-vis dans cette affaire. Seule la fréda disposera lequel de la famille prendra la succession du regretté Lamri, l'ex-gérant». Ainsi est l'état des lieux du parc des salles de spectacles à Constantine. Alors, quand M. Nettour trace des plans sur la comète autour d'un opéra, il est permis de douter du bien-fondé d'une telle option. Il n'y a, bien entendu, aucun procès d'intention dans ces propos.