Washington a décrété, vendredi dernier, l'«état d'alerte» contre des menaces d'attentats terroristes dans les pays musulmans. Cette décision est venue dans le sillage de celle du département d'Etat qui a fermé des ambassades, des consulats et des missions diplomatiques dans l'espace allant de la Mauritanie au Bangladesh, en passant par l'Algérie, l'Egypte, l'Irak, les pays du Golfe, le Yémen, l'Afghanistan et Israël. La fermeture sera maintenue tant que le risque d'attentats sur les intérêts occidentaux en général et américains en particulier persiste. Les citoyens américains résidant ou devant voyager dans un des vingt pays concernés par ces mesures ont été mis en garde contre ce risque d'attentats. «La décision de fermer autant d'ambassades et d'émettre une mise en garde aux déplacements des Américains pour une durée d'un mois suggère une menace réelle, importante et imminente, mais aussi que les renseignements disponibles sont incomplets quant au lieu», a déclaré au journal américain New York Times Bruce Riedel, un ex-haut responsable de la CIA devenu un dirigeant du groupe de réflexion Brookings Institution. Les Etats-Unis ont en effet reconnu qu'ils n'ont aucune information ou même idée sur les hypothétiques cibles des tout aussi hypothétiques attentats terroristes. Mais, «l'intention est claire. L'idée est d'attaquer les intérêts occidentaux, pas seulement américains», a assuré le chef d'état-major américain, le général Martin Dempsey. Allant dans le même sens, des responsables du département d'Etat ont affirmé, sous le sceau de l'anonymat, que les informations à leur disposition sont «spécifiques et crédibles» et que la décision prise «dépasse de loin» les inquiétudes usuelles. Ainsi, les décisions de fermeture d'une vingtaine de représentations diplomatiques américaines et l'alerte aux attentats terroristes ont été prises sur la base d'informations obtenues par les services de renseignement américain selon lesquelles le risque serait réel, «particulièrement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord» et dans «la péninsule arabique». Les craintes des services spéciaux américains sont focalisées sur Al-Qaïda dans la péninsule arabique, particulièrement la branche du réseau active au Yémen. Mieux, pour donner plus de poids à l'alerte, le département d'Etat suggère même des cibles potentielles d'attentats, qui pourraient viser les transports et les infrastructures touristiques. Ce sont là deux des objectifs habituels des terroristes, auxquels s'ajoutent les complexes industriels. Et il n'est nul besoin d'être un grand spécialiste du renseignement pour le savoir ni un as de la lutte antiterroriste pour décider de sécuriser ces cibles si une menace point. Faisant chorus, l'organisation policière Interpol a également lancé une alerte globale de sécurité, en rappelant que le mois d'août est une date anniversaire liée à plusieurs «violentes attaques terroristes» en Inde, en Russie et en Indonésie. Un spécialiste du terrorisme évoquera, lui, l'Aïd qui «est propice à la recrudescence d'actions jihadistes». En termes de symbolique religieuse, le Ramadhan l'est tout autant, et il y a eu des attaques terroristes durant tous les mois de l'année. La plus «importante», en termes d'impact, a eu lieu un certain 11 septembre. Ainsi, reprenant à leur compte l'alerte des américains, les européens suivent le mouvement. Londres, Paris et Berlin invoquent des «préoccupations sécuritaires accrues», et se joignent à cette initiative de fermeture d'ambassades. En fait, la cause principale de ce branle-bas de combat est un appel au djihad d'Ayman Al Zawahiri, l'idéologue d'Al-Qaïda considéré comme le numéro deux du réseau terroriste du vivant d'Oussama Ben Laden. La Maison-Blanche a commencé à penser à décréter l'«état d'alerte» dès mardi dernier, après la mise en ligne sur des sites djihadistes d'un discours audio d'Al Zawahiri dans lequel il appelle tous ses «frères» à attaquer des intérêts américains en réponse aux actes des Etats-Unis commis au Yémen et au Pakistan, en particulier les attaques de drones grâce auxquels les Américains ont réussi à éliminer plusieurs éléments d'Al-Qaïda dont des chefs. Al Zawahiri accuse aussi les Etats-Unis d'avoir «comploté» avec l'armée égyptienne et la minorité chrétienne copte pour la destitution du président islamiste égyptien Mohamed Morsi. Et Washington prend très au sérieux cet appel, d'où l'alerte et la décision de fermeture des ambassades. Un mini sommet a d'ailleurs été consacré aux menaces d'Al-Qaïda, samedi dernier à la Maison-Blanche. Présidée par la conseillère pour la Sécurité nationale Susan Rice, la réunion a rassemblé le secrétaire d'Etat John Kerry, le secrétaire à la Défense Chuck Hagel, la secrétaire à la Sécurité intérieure Janet Napolitano ainsi que les chefs de la CIA, la NSA et du FBI et l'ambassadrice des Etats-Unis aux Nations unies. Cette réunion devait «étudier plus profondément la situation et des mesures complémentaires». Au final, qu'avons-nous : un appel d'Al Zawahiri comme il y en a déjà eu des dizaines de différents chefs d'Al-Qaïda, sans qu'on fasse pour autant tout ce foin, et des informations «spécifiques et crédibles», selon les Américains, qui justifieraient la fermeture des ambassades, alors que le département d'Etat parle des risques sur les transports et les infrastructures touristiques. De plus, les attaques terroristes contre les intérêts des pays occidentaux ont plus souvent ciblés des sites industriels que des bureaux. Aussi, l'alerte et la décision de fermeture des représentations diplomatiques américaines dans les pays musulmans apparaissent-elles plus comme des faire-valoir que comme des mesures préventives. En effet, le scandale des écoutes et interceptions de mails à travers le monde dont se serait rendue coupable la principale agence de recueil de communications, la National security agency (NSA), a mis les Etats-Unis dans une mauvaise posture vis-à-vis de ses alliés européens. L'Union européenne a même demandé des comptes à Washington sur ce programme d'espionnage qui aurait touché les pays européens et la population américaine. La seule réponse qu'ont trouvée les Américains est que les écoutes ont permis de préserver la sécurité de millions de personnes, aux Etats-Unis et dans le monde. Mais il fallait apporter une preuve. L'appel d'Al Zawahiri est arrivé à point nommé. On y ajoute des informations recueillies grâce aux écoutes, on ferme des ambassades, ce qui ne coûtera pas cher en termes de budget, et le tour est joué, surtout si les européens suivent le mouvement. Il n'est pas dit qu'Al-Qaïda ne frappera pas si elle en a l'occasion, mais ce risque existe depuis plus d'une dizaine d'années sans que cela ait suscité la fermeture d'une vingtaine d'ambassades, à moins que la lutte contre le terrorisme ait complètement échouée et que les terroristes soient devenus plus puissants qu'ils ne l'étaient avant les guerres d'Afghanistan, d'Irak, de Somalie, du Mali… H. G.