Ils présentent, pour les habitués et surtout les clients de passage, l'avantage de fournir l'extraterritorialité qui s'impose pour marquer les différences. Deux fois plus qu'une à Constantine, dont la réputation de petite Mecque a franchi les frontières jusqu'à dissuader des investisseurs étrangers à s'y installer parce que leur activité ne saurait exister sans être accompagnée de moyens conviviaux essentiels. «Ils» ce sont les bars, bistrots ou autres estaminets. Il y a une quarantaine d'années entre un bar et un autre se trouvait un bar comme il se trouve aujourd'hui entre une pizzeria et une autre… une pizzeria. La tendance actuelle est aux commerces offrant pignon sur rue dans les plus grandes et fréquentées artères marchandes de la cité. C'est au tout début des années soixante-dix que la décision a été prise de fermer la centaine si ce n'est plus de bars à Constantine. Dès lors les rideaux ont baissé dans la majorité des bars de la ville à l'exception des restaurants dont le classement sera vite fait et une autorisation fournie pour servir vins et boissons, seulement… à table. Parfois à juste titre eu égard à la qualité des lieux et du service et parfois sur un petit coup de pouce d'un cadre politique bien placé. Est-il besoin de préciser que tout interdit invite à la multiplication des interdits. En remplacement des bars réglementés allaient pulluler ceux clandestins ouverts dans des appartements, des sous-sols et entresols d'immeubles et rez-de-chaussée de villas dont les propriétaires allaient s'enrichir comme Crésus et, bien entendu, en un rien de temps… juste de quoi se reconvertir plus tard, dès que leur fortune est faite, dans un commerce moins sulfureux. Les débits à ciel ouvert appelés aussi «mista» pousseront comme des champignons et en général dans un cadre champêtre, à proximité d'espaces boisés, d'oueds sinon la conjugaison des deux, en général accompagnés de formidables barbecues autour desquels se réunissaient aussi bien ceux qui constituaient la lie que la classe dorée, autant ouvrier d'usine que chirurgien, cadre supérieur d'entreprise économique. Un métissage incroyable qui laissait place à la naissance de relations amicales solides et sincères qui ne pouvaient qu'être incroyables à leur tour. Les mistates seront tolérées parce qu'il était clair qu'entre le chemin des mosquées et celui des bars et autres, les pouvoirs publics, tirant enseignement d'une mesure de fermeture ô combien pénalisante, avaient fait leur choix. Donc à la fin des années 80 et dans le but d'opposer un pendant à l'intégrisme islamiste naissant, les autorités décident de donner du lest et d'autoriser l'ouverture de points de vente réglementés de boissons alcoolisés à… emporter. Là également il y a matière à discussion quant à la qualité des bénéficiaires des licences mais, quoi qu'il en soit, des milliers de Constantinois trouvaient leur compte quant à la normalisation d'un mode de vie qui les avait ravalés au stade de lépreux. Les bars ne sont pas nombreux aujourd'hui dans la ville des Ponts, mais suffisants pour ceux qui ont encore des atomes crochus avec Bacchus. Ils permettent malgré tout d'entretenir un équilibre naturel presque… darwinien.