Il y a des écrivains qui, dans une magnifique discrétion, travaillent et quêtent de nouvelles ressources loin des feux de la rampe, du bruit et de la fureur des médias. Ils préfèrent creuser dans la solitude sans pour autant briser la solidarité qui se tisse dans l'écriture. Abdelkader Djemaï est de cette tribu. A peine quatre-vingts pages, le Nez sur la vitre retrace le double itinéraire d'un père qui part à la recherche du fils que «la ville lui avait pris» et de ce même père qui revoit sa propre vie défiler. Après un long et tonitruant silence, le père, qui «glissait les lettres de ses propres mains», part à la rencontre de son fils. Au cours de son voyage en autocar, il retrouve son itinéraire d'enfant sorti du ventre d'un douar «perdu dans la steppe», qui ressemble «à la bouche d'un ogre» pour aller en ville en compagnie de son père à bord d'un vieux Saviem S 45. Sans nouvelles depuis qu'il est parti sauf le strident silence de toutes les lettres restées mortes que sa sœur écrivait. Le père déchiré par la douleur de son fils parti décide alors d'aller à sa rencontre. Dans le voyage qu'il entreprend, sa propre histoire défile et le fait remonter au fond de son enfance algérienne des années cinquante où la misère règne en sultan et l'humiliation avec, le douloureux souvenir de cette image du père qui tremblait devant un soldat, la guerre, etc. Dans une écriture concise et limpide, Abdelkader Djemaï signe un roman où les choses sont scrupuleusement détaillées. A la limite du naturalisme où la description est fondamentale, ce petit roman est une parfaite illustration de la précision et du détail. Tout est minutieusement décortiqué et disséqué. Aussi bien les descriptions physiques que les descriptions «intérieures», les parcours se croisent et l'écriture trouve sa source ; un voyage croisé dans un passé qui ne veut pas s'éteindre et un présent à l'éclat sombre. Le voyage, initialement organisé pour aller à la recherche du fils, se transforme en une quête de soi et se fait le terrain de la mémoire que l'écriture exploite. C'est dans cet entre-deux que la lutte est engagée. Cet autre voyage qui s'ouvre met en lumière les subtilités d'écriture de Djemaï et son art de peindre les douloureux frissons. Il s'agit, en fait, de la propre vie du père qui se déroule remontant jusqu'au jour où il quitta son pays pour aller gagner sa vie. On retrouve une espèce de poéticité propre à ce qui habite la langue d'écriture comme «l'autocar, aux amortisseurs fatigués» ; «il ressemblait, comme disait sa mère, au muet qui confiait à un sourd qu'un aveugle les regardait». Il est question là de l'interlangue que Djemaï ainsi que beaucoup d'auteurs Algériens pratiquent. On pourra aussi dire que ce livre est un hymne à la figure du père longtemps éclaboussée dans le champ littéraire maghrébine. De par les mises en exergue, Henri de Montherlant et Confucis qui signifient l'exceptionnel et l'inégalé rôle d'un père, il y a comme une compassion pour ce père «serré contre lui comme s'il voulait qu'il le protège contre son malheur». Quelque part dans ce roman, l'auteur avait écrit que «c'est une histoire sans paroles». Seules les images parlent et disent toute la douleur et tout l'amour que tisonne ce feu des départs. Ce silence du père n'exprime-t-il pas aussi le silence qui dit tout le fossé qui sépare les générations. A. L.