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Kubala, le genie hongrois du Barça !
Publié dans Le Buteur le 20 - 01 - 2015

Légèrement éméché, un étranger monte dans un train à destination de Barcelone. "On va bien à Madrid ?", demande-t-il à son compagnon de voyage, dont l'épaule lui sert d'accoudoir depuis un petit moment déjà. Rassuré, il s'écroule sur le siège le plus proche et s'endort paisiblement. Si le jeune homme de 23 ans avait annoncé aux autres voyageurs qu'il comptait se rendre à Madrid pour signer au Real, ils auraient sûrement bien ri. Si les supporters du Barça avaient pu se douter qu'il allait effectivement signer un contrat avec un club professionnel et que le club en question ne serait autre que le FC Barcelone, ils auraient sûrement pleuré.
Pourtant, les seules larmes que Ladislao Kubala fera couler en Catalogne seront des larmes de joie, suscitées par ses dribbles déroutants, ses ouvertures géniales et ses frappes magistrales. Le milieu de terrain a été l'inspirateur de l'une des plus grandes équipes de l'histoire du FC Barcelone. La Kubalamania a été le catalyseur à l'origine de la construction du Camp Nou.
Etrange périple
Ce voyage en train, entamé un jour de juin 1950, marque la dernière étape de l'étrange périple qui l'aura mené de Budapest à Barcelone. Kubala s'est caché sous la bâche d'un camion pour quitter la Hongrie et échapper à ses obligations militaires puis il s'est déguisé en soldat soviétique pour entrer en Italie. Il jouera ensuite dans un film racontant son parcours du combattant pour échapper au communisme, mais aussi et surtout il pourra pratiquer le sport qu'il aimait par-dessus tout.
Après avoir débuté à 18 ans sous les couleurs de Ferencvaros, Kubala se révèle dans un rôle d'attaquant au Slovan Bratislava. Devenu international tchécoslovaque, il décide de rentrer en Hongrie pour éviter les poursuites de l'armée. Son retour dans son pays natal sera de courte durée mais lui laissera tout de même le temps de briller à Vasas et de glaner trois sélections en équipe de Hongrie. La naissance du régime communiste hongrois le pousse cependant à faire ses valises pour Busto Arsizio. La ville abrite à l'époque un club de Serie A, Pro Patria. Lorsque Kubala demande la permission de s'entraîner avec l'équipe première, les dirigeants ne se font pas prier pour accepter.
"Quand je suis arrivé, j'ai vu qu'ils débutaient leur séance par le travail physique. J'ai fait semblant d'avoir oublié quelque chose puis, une fois qu'ils se sont mis à courir, j'ai commencé à jongler avec le ballon dans mon coin. Le président m'a vu et il m'a dit, sur le ton de la plaisanterie : "Si tu peux faire 400 jongles sans laisser retomber la balle, je te donne ma montre !" Evidemment, ce n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Droite, gauche, droite, gauche, cuisse, quelques têtes et on recommence... 398, 399, 400, pas de problème. Pour le plaisir, j'ai fait le tour du terrain en continuant à jongler. Il était sidéré. Moi, je n'ai pas regretté mes efforts : sa montre était très jolie."
De son côté, le président de Pro Patria se remet vite de la perte de sa montre. Convaincu d'avoir mis la main sur un diamant brut, il se laisse emporter par son enthousiasme et répand la nouvelle autour de lui. Son erreur va lui coûter cher. La réputation de Kubala arrive jusqu'à Turin, où évolue à l'époque l'une des meilleures équipes d'Europe. En route pour un cinquième Scudetto consécutif, le Torino invite l'attaquant hongrois à participer à un match amical contre Benfica. Mais au dernier moment, Kubala renonce à faire le déplacement pour rester au chevet de son fils, malade. Cette décision va lui sauver la vie. Le 4 mai 1949, l'avion qui ramène les joueurs du Torino de la capitale portugaise s'écrase. La catastrophe ne laisse aucun survivant.
Real ou Barça ?
À cette époque, Kubala s'associe à son beau-père Ferdinand Daucik pour créer une équipe entièrement composée de réfugiés d'Europe de l'Est. Baptisée Hungaria, cette sélection atypique entame une série de matches amicaux, au cours de laquelle elle s'incline 2:4 face au Real Madrid, dans la capitale espagnole. Le président Santiago Bernabeu ne reste pas insensible au talent du Hongrois et lui offre immédiatement un contrat lucratif. L'intéressé lui répond qu'il lui reste encore deux matches à jouer en Espagne et qu'il ne rejoindra ses Merengue qu'à une condition : que Daucík intègre le club en tant qu'entraîneur.
Le célèbre dirigeant madrilène s'est sûrement demandé qui pouvait bien être ce petit footballeur hongrois, pour formuler de telles exigences. Mais il comprend rapidement qu'il ne peut pas se permettre de passer à côté d'un tel talent. Il invite donc Kubala à revenir à l'issue de sa tournée, en lui promettant de régler le cas de Daucík. La discussion se conclut par une poignée de mains.
Quelques jours plus tard, Pepe Samitier, ancien attaquant du Barça devenu recruteur, assiste à son tour aux exploits de Kubala. C'est lui qui va se charger de souler le Hongrois et de le convaincre que le train se dirige effectivement vers Madrid, ce fameux jour de juin 1950. Kubala a eu le temps de dessouler en arrivant à Barcelone mais les dirigeants catalans lui proposent immédiatement un contrat équivalent à celui du Real, avec un bonus substantiel : Daucik se voit offrir le poste d'entraîneur.
Kubala signe sans attendre. Une suspension l'empêche de revêtir le maillot du Barça pendant un an mais la patience des supporters et des dirigeants est vite récompensée. Cinquième en 1949/50, le FC Barcelone termine l'exercice suivant en quatrième position, à six points seulement de la relégation. En 1951/52, les Blaugrana remportent les cinq compétitions auxquelles ils participent. La deuxième saison de Kubala en Catalogne se solde par un deuxième doublé coupe-championnat consécutif.
"Il était intouchable", se souvient son coéquipier Joan Segarra. "Il était tellement déroutant que ses adversaires ne savaient jamais à quoi s'attendre. Il pouvait éliminer un, deux ou trois adversaires sans forcer et offrir une occasion sur un plateau ou conclure lui-même."
Un stade à sa mesure
Malgré ses 60 000 places, le stade de Les Corts se révèle rapidement incapable de satisfaire la demande des nombreux admirateurs de Kubala. Les dirigeants lancent donc la construction de l'enceinte aujourd'hui connue sous le nom de Camp Nou. Celle-ci ne désemplit pas entre 1957 et 1961, date à laquelle Kubala raccroche finalement les crampons. À cette époque, Kuski a offert au Barça quatre titres de champion, cinq Coupes du Roi et deux Coupes des Villes de Foire, malgré la concurrence acharnée du Real Madrid. Avec Luis Suarez, Evaristo et Sandor Kocsis, Kubala fait du FC Barcelone le premier tombeur du géant madrilène en Coupe d'Europe des Clubs Champions. Mais après avoir mis un terme à la série de cinq triomphes européens consécutifs des Merengue, les Catalans chutent en finale de l'édition 1960/61 face à Benfica. Durant son séjour barcelonais, Kubala porte également le maillot de l'équipe d'Espagne, devenant par la même occasion le premier et le dernier homme de l'histoire à avoir représenté trois pays différents. Malheureusement, une blessure l'empêche de prendre part au match de barrage contre la Turquie, dans les qualifications pour la Coupe du Monde de la FIFA, Suisse 1954TM. La rencontre disputée à Rome s'achève sur un score de parité (2:2). Le tirage au sort élimine l'Espagne, ce qui prive l'un des plus fabuleux artistes de tous les temps de l'occasion de se produire sur la plus grande des scènes.
Contrairement à d'autres grands noms du football mondial qui n'ont jamais eu la chance de disputer l'épreuve suprême, comme Alfredo Di Stefano ou George Best, Kubala n'a jamais remporté la Coupe d'Europe des Clubs Champions. Sans doute est-ce la raison pour laquelle sa renommée n'a jamais vraiment franchi les frontières de l'Espagne et de l'Europe de l'Est.
"Il n'a rien à envier à Alfredo et Pelé. C'était l'un des plus grands", disait Ferenc Puskas. "Pour ce qui est du jonglage, il ne craignait personne. Même les supporters du Real Madrid étaient fascinés par son adresse." Di Stefano lui-même confirme : "Kubala était un génie. Son jeu était limpide. C'était un plaisir de le voir balle au pied".
Le Hongrois restera à jamais comme le deuxième meilleur joueur de l'histoire du championnat d'Espagne, juste derrière Di Stefano. Un récent sondage l'a cependant désigné comme le meilleur joueur de l'histoire du FC Barcelone. Ni Kocsis, ni Suarez, ni Johan Cruyff, ni Diego Maradona, ni Romario n'ont pu lui ravir cet ultime hommage, amplement mérité.
IN FIFA.com


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