Comme pour un mariage, pour faire un grand match, il faut être deux. Samedi, dans le temple de Wembley, dédié aux dieux du football, le FC Barcelone a renversé cette théorie vieille comme le foot, démontrant qu'on peut réaliser une partition divine en étant la seule équipe sur le terrain. Contre onze âmes en peine d'un Manchester United transparent, la planète foot, émerveillée, a assisté à un fantastique ballet de farfadets. A un spectacle son et lumières de lutins «espagnols» d'une grâce légère et vive. En extase devant ces extraterrestres, le dieu du football s'est demandé alors s'il y aura autre chose après la perfection. Le meilleur club du monde ! La plus grande équipe de tous les temps ! Les superlatifs, pas seulement sous la plume euphorique des confrères catalans, ont rivalisé de grandiloquence. «Mes que un club», plus qu'un club, est la devise officielle du Barça. Aujourd'hui, les joueurs de Josep Guardiola sont plus qu'une équipe. Et encore. En termes de clubs, seules 3 équipes peuvent soutenir la comparaison : le Real Madrid (1956-1960), l'Ajax Amsterdam (1971-1973) et le Milan AC (1989-1994). Ces équipes de légende ont en effet des caractéristiques communes : avoir dominé durant une période de 3 à 5 ans le football européen; avoir en son sein au moins 3 joueurs hors du commun plus un joueur d'exception qui souvent fait la différence dans les grands événements. Alfredo di Stefano pour le Real, Johann Cruijff pour l'Ajax Amsterdam et Marco van Basten pour le Milan AC. Mais, plus que les deux autres, le FC Barcelone, fondé en 1899, est le premier club à écraser le football européen après l'arrêt Bosman, acte de naissance du football sans frontières. Sur le plan statistique, le club catalan a rejoint le Bayern de Munich et l'Ajax Amsterdam au rang des détenteurs de 4 coupes aux grandes oreilles. Le Barça a même fait mieux en étant 3 fois roi d'Europe en 5 ans et 5 fois au total depuis 1992. Les Blaugranas, dont le bleu et le grenat portent les couleurs du catalanisme, ce sont aussi 22 championnats, 25 coupes d'Espagne et 3 Ligas sur trois, en 2009, 2010 et 2011. C'est également le seul club avec le Real Madrid et l'Athletic Bilbao à avoir participé à toutes les éditions de la Primera Division (Liga) depuis sa création en 1929. Et, suprématie royale, les Barcelonais sont au premier rang pour la décennie 2001-2011. Pourtant les chiffres ne disent l'histoire qu'en pointillés. Ils restent muets face à la plénitude, l'émotion et la grâce. Le Barça n'a qu'à poser le pied sur le ballon pour dicter le tempo. L'emprise est sublime, parfois envoûtante, comme face aux joueurs de Sir Alex Ferguson, robots bioniques tétanisés. Le Barça, si brillant techniquement, ne court pas mais fait courir ses adversaires en faisant circuler le ballon, grâce à un jeu de passes millimétrées. Il n'a alors besoin que d'une remontée de balle réussie pour trouver ses marques et marquer. L'emprise sur le jeu se fait parfois à l'aide de power play, comme avec une Playstation. Avec des solos virevoltants, les joueurs sont parfois irréels. Le style de jeu du FC Barcelone prend racine dans l'exigence des socios de voir leur équipe gagner en jouant un jeu attractif. L'affirmation de cette exigence est attribuée à l'ère de Lazlo Kubala, qui pendant une décennie mène avec brio le jeu des Catalans. Même Helenio Herrera, qui se fera paradoxalement connaître en donnant au catennacio ses plus beaux mètres cubes de béton, a aligné une équipe en 4-2-4 particulièrement portée sur l'attaque et le beau jeu. Philosophie comptant comme fer de lance des joueurs rapides et techniques : Lazlo Kubala, Sànder Kocsis et Luis Suarez, premier Espagnol à remporter le Ballon d'or en 1960. Cette culture du résultat adossée à l'esthétique du beau jeu a été renforcée ensuite par des maîtres-entraîneurs tels Rinnuus Michels, Johann Cruijff, Bobby Robson, Franck Riijkard et Josep Guardiola, qui l'a élevé au pinacle. Pep Guardiola, qui fut un joueur-clé dans le Barça de Johann Cruijff, a su créer une alchimie de jeu qui ressemble au récital, parfois à la symphonie. C'est le Concierto d'Aranjuez avec des passes répétées mais en mouvement, un pressing très haut et une discipline de fer. De même qu'une grande exigence de rigueur qui n'interdit pas pour autant la fantaisie et le génie, et, surtout, une disponibilité à tous les instants de tous les joueurs, ce qui offre souvent plusieurs solutions au porteur du ballon. Avec, notamment, un milieu de terrain Xavi-Busquets-Iniesta, problème insoluble pour tous les adversaires. Pour Carlos Alberto Parreira, sélectionneur du Brésil champion du monde 1994, le succès du Barça repose sur six piliers essentiels : le leadership du capitaine Carles Pujol sur le terrain de jeu, le leadership de Pep Guardiola en dehors du terrain, le talent des deux meneurs de jeu Xavi et Iniesta, l'efficacité face aux buts de Messi et Villa, le travail inlassable de Pedro et, finalement, le fait d'imposer son jeu quel que soit l'adversaire et quel que soit le terrain. Le Français Jean Reverdy a dit un jour qu'il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. Les Barcelonais, eux, démontrent qu'il n'y a pas de beau football sans preuve de beau jeu. Un autre Français, Jean Cocteau, a ajouté : le virtuose ne sert pas la musique, il s'en sert. Le FC Barcelone, lui, la sert et s'en sert. Pour le bonheur du football. N. K.