«Un journaliste te demande de prendre une photo avec lui en se présentant comme un admirateur et, le lendemain, tu découvres la grande surprise : une interview et des questions imaginaires.» Marco Materazzi a accordé un entretien à un confrère de Doha Stadium dans lequel il parle très ouvertement de sa conception de la vie et des relations qu'il a avec le monde. Matrix s'est ouvert de manière sincère qui le rend encore plus «humain» aux yeux des Arabes qui ne le portaient plus dans leur cur depuis la finale de la Coupe du Monde et son incident avec l'icône du football mondial, Zinedine Zidane. En multipliant les interviews avec les médias arabes, dont Le Buteur, Materazzi a réussi à prouver qu'il n'avait rien à voir avec cette image de «bad boy» qui lui collait à la peau. Dans cet échange avec notre confrère de Doha Stadium, l'Italien de l'Inter de Milan évoque son rapport avec le Golfe arabique et reconnaît les valeurs culturelles des Arabes. Dégustez.
Quel est le vrai message du football ? C'est en fait un message de vie. Je veux dire par là que nous pratiquons le football comme nous pratiquons beaucoup de choses dans notre vie quotidienne. Nous jouons pour gagner et nous faisons face à des défis, nous connaissons l'adversité et nous créons des amitiés, nous faisons montre de respect et nous faisons preuve de rigueur... Toutes ces choses, nous les faisons également dans notre vie quotidienne. Un homme respectable attire le respect parce qu'il reste propre et transparent comme du verre. Concernant le jeu, il y a des lois et des règlements immuables qui sont ceux-là mêmes que nous pratiquons dans notre vie de tous les jours. Un joueur vit sur le terrain la vraie personnalité qu'il montre dans sa vie. Est-il vrai que l'Italie n'a remporté la Coupe du monde que parce que vous avez provoqué l'expulsion de Zidane ? Bien sûr que ce n'est pas vrai. Nous avons battu la France parce que notre équipe était mieux organisée et plus réaliste. Nous avons battu la France parce que nous avions une équipe unie qui privilégie l'esprit de groupe. Nous avons constitué un bloc difficile à transpercer. Vous avez bien vu tous les grands matches que nous avons livrés lors du Mondial. Contre l'Allemagne, nous nous sommes serrés les coudes et nous nous sommes beaucoup battus. Face à la France en finale, nous nous sommes bien répartis sur tout le terrain pour bloquer les accès. C'est avec cet état d'esprit que nous avons remporté la Coupe du monde. Après la victoire en Coupe du monde, vous êtes entré dans l'Histoire comme un homme coupable et un mauvais exemple. Que répondez-vous à cela ? Je ne suis pas un mauvais exemple. Je suis un footballeur qui sert mon équipe de mon mieux. J'ai fait tout ce qui pouvait être fait sur un terrain. Depuis mon enfance, j'ai appris que la victoire ne s'obtient qu'après un combat. Lorsque j'étais petit, nous jouions sur des terrains poussiéreux à Lecce. Je m'étais souvent blessé et j'ai appris à souffrir. Tout ce que nous endurions était pour gagner un match de football. Avez-vous toujours un problème avec Zidane ? Pour moi, le sujet est clos. Je n'ai aucun problème. Je me suis excusé pour ce que j'ai fait, mais il doit lui également s'excuser pour ce qu'il a fait. Je répète encore une fois : je n'ai aucun problème, mais je ne peux rien y faire. Le problème réside en Zidane. Je ne vois pas l'utilité d'aborder ce sujet. Il fait partie du passé. Nous sommes en 2009 et ce qui s'est passé date de 2006. Je ne veux pas être otage du passé. Pourquoi avoir fait ce que vous avez fait ? Je n'ai rien fait du tout. Ce qui est arrivé arrive dans tous les matches et se termine avec le coup de sifflet de l'arbitre. Je ne m'attendais pas à sa réaction et surtout pas à son ampleur. Ce qui s'est passé entre lui et moi se passe tous les jours, mais tous ceux qui le font n'ont pas vraiment conscience de leurs paroles. En un mot, cela fait partie de la pression psychologique du jeu. De quoi rêve «Matrix» ? Je rêvais de remporter l'Euro-2008 avec l'Italie. Nous étions bien préparés et notre objectif était de soulever la Coupe d'Europe dont nous étions dignes en notre qualité de champions du monde. Jusqu'à cet instant, je ne comprends toujours pas ce qui s'est passé. L'équipe n'était pas équilibrée et nous avons perdu nos chances dès le premier match. Il y a beaucoup de choses à revoir. Quelle surprise attendez-vous de la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud ? La surprise sera l'Angleterre. Les Anglais remporteront la Coupe du monde avec Fabio Capello qui sait très bien conduire les équipes qu'il a en charge vers le sacre. Capello est capable de tirer le maximum d'un joueur et de le motiver pour la victoire. Qu'en est-il de l'Italie ? L'Italie sera au rendez-vous comme d'habitude pour se battre jusqu'au bout. Nous avons une équipe forte et des joueurs excellents. Marcello Lippi est un grand entraîneur qui sait varier les styles et les joueurs l'apprécient beaucoup. Il jouit d'un grand respect auprès des supporters et c'est très important. Nous sommes naturellement prêts et nous défendrons notre titre à fond. Selon vous, quel est le meilleur championnat au monde à l'heure actuelle ? Assurément, le championnat d'Italie et celui d'Angleterre. Le premier allie la culture tactique à la puissance et la lutte y est très ouverte. Le second est celui où le jeu est le plus rapide, le plus excitant. J'aime beaucoup le football anglais car les Anglais ont une culture footballistique et des traditions particulières. Je comprends parfaitement Fabio Capello lorsqu'il a dit qu'il avait toujours rêvé d'entraîner la sélection anglaise. En Italie, quels sont les clubs emblématiques, en plus de l'Inter ? Il y a les quatre grands après l'Inter qui sont l'AS Roma grâce à Totti, le Milan AC dont le milieu de terrain typiquement italien est formidable, la Fiorentina de l'entraîneur chevronné Prandelli et la Juventus, toujours solide. L'Inter marche très fort sur le plan local depuis trois ans, mais il ne fait rien sur la scène européenne. Quelle en est la cause, selon vous ? L'Inter de cette année est différent de celui des années précédentes. Nous sommes meilleurs que jamais, avec une plus grande expérience du niveau européen. Il est sûr que nous tirerons profit de l'esprit positif qui règne au sein de l'équipe, surtout avec José Mourinho. Dans le vestiaire, les joueurs sont unis et tout le monde encourage tout le monde : les remplaçants encouragent les titulaires et vice versa. Qui choisiriez-vous entre Ibrahimovic et Kaka ? Je suis un fan d'Ibrahimovic et c'est sûr que c'est lui que je choisirais, même si Kaka est lui aussi un grand champion. Ibrahimovic est un joueur exemplaire en attaque et nous sommes contents de lui à l'Inter. Vous faites montre d'une grande énergie bien que vous ayez dépassé la trentaine. Jusqu'à quel âge comptez-vous jouer ? Je bouclerai mes 36 ans cette année. J'espère jouer jusqu'à l'âge de 40 ans, peut-être même jusqu'à ce que la flamme qui entretient mon envie de jouer s'éteigne. Je prendrai ma retraite lorsque je sentirai que je dois le faire. De nature, je suis un homme qui aime partager et je pense que l'essence de la vie est faite d'amour. Lorsque je sentirai qu'il y a un désamour, je partirai. En ce moment, je ressens l'amour du jeu et c'est pour ça que je veux continuer. Avant de communier avec le monde, je dois communier avec moi-même et avec ma famille. C'est comme ça que je conçois la vie : une épouse merveilleuse que j'aime et des enfants qui m'adorent. C'est ce que je dis toujours à mes amis. Je vous le dis à vous aussi car vous êtes aussi mes amis. Je leur dis et vous dis que je joue au football tant que je suis bien dans ma tête. Même lorsque je le fais à la maison avec mes enfants, nous ressentons du bonheur en le faisant. Nous pouvons choisir et c'est le secret des belles choses dans la vie. Cependant, un joueur trentenaire comme vous depuis des années ne peut pas aspirer à être titulaire lors de tous les matches... C'est juste, mais dans le football, il n'y a aucun joueur qui joue tous les matches. Nous jouons sur trois fronts : le championnat, la Coupe d'Italie et la Ligue des champions. Il y a donc beaucoup de matches pour beaucoup de joueurs. Je pense que tout le monde aura sa chance. Nous avons un groupe uni et toutes ses armes seront utilisées sur le terrain. Avez-vous déjà joué pour un club en dehors de l'Italie ? Oui, je l'ai déjà fait. J'ai joué à Everton, dans la ville de Liverpool. C'était une expérience formidable. J'étais titulaire dans la majorité des rencontres et j'ai même marqué un très beau but. J'étais très heureux. Je n'ai pas peur de tenter ce genre d'expérience, mais rien ne me motive à le faire présentement. Je veux terminer ma carrière sportive à l'Inter parce que ce club m'a beaucoup donné. Ce n'est quand même pas dramatique de terminer votre carrière à l'étranger, surtout que votre père a terminé la sienne en Chine... Effectivement, mon père Giuseppe Materazzi a terminé sa carrière d'entraîneur en Chine. C'était une belle expérience qui lui a fait découvrir une autre culture et lui a fait connaître des gens bien. Il a beaucoup appris de cette expérience, mais ma situation diffère de la sienne. J'aime beaucoup l'Inter et je suis heureux d'y être. Que connaissez-vous du Golfe arabe ? Je connais beaucoup de choses. Géographiquement, c'est varié : un beau désert, des montagnes à l'est, des plages dont certaines ressemblent à celles de Lecce où je suis né et j'ai grandi... Les gens de là-bas aiment beaucoup la mer et sont très gentils. Ma visite dans le Golfe arabique avec l'Inter m'a permis d'approcher cette culture que je considère comme unique. J'aime cet endroit et mes enfants aiment regarder le sable. Touristiquement parlant, je peux dire que le Golfe arabe possède des atouts pour constituer une destination sûre pour ceux qui aspirent à des vacances calmes. Vous avez visité les Emirats arabes unis avec l'Inter. Quelle impression vous a laissé cette visite et le Golfe de manière générale ? L'Inter est toujours bien accueilli et considéré au Golfe et cela s'est vérifié aux Emirats. Mon impression personnelle sur cette région est qu'elle est en train d'avancer à pas sûrs vers un avenir radieux au plan footballistique. Je peux même dire que le Golfe constitue l'avenir du football. En revanche, une chose m'a frappé : l'attachement de la population à son identité et à sa culture. Les Emiratis acceptent le progrès et le renouveau à la seule condition que cela n'aille pas à l'encontre de leur culture. C'est une chose magnifique car le football peut se jouer dans un endroit nouveau et fertile, avec un style nouveau porteur de l'âme et de la culture de celui qui le pratique. Je garde de bons souvenirs de ce voyage et il n'y eut qu'un seul incident isolé qui m'avait déplu. Tout le reste était très bien. Quel est cet incident ? C'est un incident isolé et je préfère ne pas en parler. Nous avons pour habitude de tout dire à nos lecteurs. Pouvez-vous donc nous raconter ce qui s'est passé ? Je n'ai pas aimé le comportement d'un journaliste à Dubaï après notre match contre les Brésiliens de Porto Allegre. Il me harcelait en insistant pour avoir une interview pour son journal. Je connaissais ses intentions malsaines : il voulait publier une interview imaginaire. J'ai refusé catégoriquement de lui parler. Avant de partir, il m'a dit avec insolence : «Je vais écrire sur toi, souiller ton image et faire de toi un mauvais exemple.» Je ne l'avais pas cru car je savais que les Arabes ne sont pas comme lui et ne permettront pas à quelqu'un de s'en prendre à un invité. Donner des coups de poignard dans le dos ne fait pas partie de la culture des Arabes. Je sais que ses supérieurs hiérarchiques, s'ils apprenaient qu'il travaillait pour une partie donnée, ne lui permettraient pas d'agir ainsi. Le monde arabe est connu pour sa moralité exemplaire. Les droits des invités sont protégés. Comme vous le dites, c'est un comportement isolé... Oui. Il y a partout des parasites dans tous les domaines. Il existe des pseudo-journalistes, comme il existe des pseudo-joueurs et des pseudo-chanteurs. Un journaliste te demande de prendre une photo avec lui en se présentant comme un admirateur et, le lendemain, tu découvres la grande surprise : une interview et des questions imaginaires. Il y en a qui prennent des photos et qui les conservent et lorsque l'occasion se présente des mois ou des années plus tard, ils la proposent à des magazines ou à des revues comme étant des interviews exclusives avec une star, mais ils ne remarquent pas que le maillot arboré par ladite star a changé dans l'année où l'interview était censée avoir été faite. Vous avez écrit un livre autobiographique. A quelle fin ? Je suis un homme qui aime beaucoup les détails. Je voulais parler de petites choses, du stade, de ma famille, de mes amis. De mon point de vue, nous pouvons donner beaucoup à la vie à travers les fonctions de footballeur, de médecin, d'architecte... Nous pouvons apporter quelque chose à travers une chanson, un tableau ou un livre. Nous pouvons apporter beaucoup à la vie juste lorsqu'on aime une femme, par exemple ou ses enfants. C'est ce que j'essaie d'expliquer dans ce livre.